Menu
Libération
Promesses brisées

Prisons afghanes : les talibans accusés de tortures par l’ONU

Les Nations unies ont dénombré plus de 1 600 cas de violations des droits de l’homme entre janvier 2022 et juillet 2023. Un chiffre sans doute sous-estimé, les victimes refusant souvent de témoigner par crainte de représailles.
Un garde taliban surveille des prisonniers attendant d'être relâchés, à Kandahar, dans le sud de l'Afghanistan, le 27 juin. (Sanaullah Seiam/AFP)
publié le 22 septembre 2023 à 18h12

«Les premières 53 heures furent les pires moments de ma vie. Je ne les oublierai jamais. Ils m’ont réveillé à minuit et m’ont emmené dans un couloir où deux suspects étaient pendus au plafond et battus. Je les ai vus les forcer à boire avec des tuyaux en plastique [placés dans leur bouche]. Ils m’ont dit qu’ils me feraient subir la même chose si ne répondais pas “oui” à toutes leurs questions. Ils m’ont battu et torturé. Je ne pouvais plus dormir et tout mon corps me faisait souffrir. Quand je leur ai demandé à être soigné, ils m’ont dit qu’ils allaient me tuer et que, donc, ils ne me donneraient aucun médicament.» Ce témoignage a été recueilli par l’Unama, la mission de l’ONU en Afghanistan, entre le 1er janvier 2022 et le 31 juillet 2023. Il n’a rien d’isolé.

Les Nations unies ont dénombré plus de 1 600 cas de mauvais traitements de détenus par le nouveau pouvoir taliban durant la période. «Près de la moitié ont été torturés ou ont été maltraités de manière cruelle, inhumaine et dégradante», note le rapport. Les victimes étaient soit détenues dans des prisons du ministère de l’Intérieur soit dans des geôles des services du General Directorate of Information, le renseignement afghan. Dix-huit d’entre elles en sont mortes, selon les enquêteurs de l’ONU.

«Prostituées» et «fils d’Américains»

«Ce rapport suggère que la torture est utilisée comme un outil, en lieu et place de véritables enquêtes», a déclaré le Haut-Commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Volker Türk, le 20 septembre. Pour obtenir des aveux, ou des dénonciations, les forces de sécurité talibanes ont recours aux tabassages, y compris avec des crosses de kalachnikov, des tuyaux ou des câbles, jusqu’à ce que le prisonnier tombe inconscient. Les victimes sont parfois étouffées, la tête dans un sac plastique. Elles peuvent être pendues au plafond ou obligées de rester dans des positions inconfortables. Certaines ont subi le supplice de l’eau ou ont été électrocutées. Les menaces, notamment de lapidation, et les insultes – «prostituées» pour les femmes, «infidèles», «chiens» ou «fils d’Américains» pour les hommes – sont récurrentes.

Parmi les cas recensés par les Nations unies, 44 % étaient des civils, 21 % des membres du gouvernement précédent ou de ses forces de sécurité, 16 % des membres de groupes défenseurs des droits humains et d’organisations civiles, 9 % des combattants de groupes anti-Talibans ou de l’Etat islamique, et 8 % des journalistes ou employés de médias. Le bilan de l’ONU n’est pas exhaustif, les victimes refusant souvent de témoigner par peur des représailles, contre elles ou leur famille.

En janvier 2022, le chef des talibans, le mollah Haibatullah Akhundzada, avait approuvé par décret «un code de conduite de la réforme du système pénitentiaire», qui interdit la torture. Un argument repris lors de la publication du rapport de l’ONU par le ministère des Affaires étrangères taliban. Selon lui, le gouvernement a pris des mesures pour améliorer le traitement des détenus et le respect des droits humains. Il a ajouté que la torture était prohibée par la charia, la loi islamique, avant de mettre en cause certains résultats du rapport. Le ministère de l’Intérieur a de son côté assuré qu’il n’avait recensé que 21 cas de violations des droits de l’homme.