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Prix Nansen 2023 pour les réfugiés : Abdullahi Mire, l’homme aux 100 000 livres

Pour avoir acheminé des milliers d’ouvrages dans des camps de réfugiés au Kenya, le journaliste et humanitaire somalien de 36 ans reçoit ce mercredi 13 décembre son prix à l’occasion de la soirée d’ouverture du Forum mondial sur les réfugiés.
Abdullahi Mire, le lauréat de la prestigieuse distinction Nansen de l'agence des Nations unies pour les réfugiés, le 8 novembre 2023 dans l'une des bibliothèques qu'il a créées dans le camp de réfugiés de Dadaab au Kenya. (Tony Karumba/UNHCR.AFP)
publié le 13 décembre 2023 à 20h21

C’est l’histoire d’un ancien réfugié de retour dans son camp, les bras chargés de milliers de livres pour les enfants exilés. L’histoire vraie d’Abdullahi Mire, un journaliste et humanitaire somalien de 36 ans, décoré fin novembre du prestigieux prix Nansen du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui salue chaque année le dévouement d’individus et d’organisations qui œuvrent à leur protection. Le lauréat doit recevoir sa distinction dans la soirée de ce mercredi 13 décembre à Genève, lors d’une cérémonie clôturant le premier jour du Forum mondial sur les réfugiés.

Via son association dirigée par des réfugiés, le Refugee Youth Education Hub, Abdullahi Mire a permis d’offrir une éducation à nombre de jeunes réfugiés dans des camps au Kenya, grâce à l’acheminement de 100 000 livres et à l’ouverture de trois bibliothèques publiques. «Un livre peut changer l’avenir de quelqu’un», a-t-il affirmé lors d’un entretien à l’AFP fin novembre, lorsqu’il a reçu son prix, assurant vouloir que «chaque enfant déplacé ait la possibilité de s’instruire». Il est «la preuve vivante que des solutions innovantes peuvent naître au sein même des communautés déplacées», a assuré de son côté le Haut-Commissaire de l’ONU pour les réfugiés, Filippo Grandi.

«Ce fut le début de ma vocation»

Fuyant la guerre civile en Somalie, la famille d’Abdullahi Mire est contrainte de se réfugier au Kenya en 1991. Alors âgé de 3 ans, il restera vingt-trois ans de plus dans l’immense camp de Dadaab, l’un des plus grands camps de réfugiés au monde, dans l’est du pays. Construit dans les années 90, ce complexe tentaculaire abrite aujourd’hui près de 370 000 personnes, contre une capacité d’accueil de 90 000, selon l’ONU. Malgré des obstacles de taille, le jeune Abdullahi Mire y mène à bien ses études primaires et secondaires. Jusqu’à décrocher, en 2013, un diplôme en relations publiques et en journalisme, avant de travailler ponctuellement pour l’Agence France Presse.

Dans la foulée, Abdullahi Mire rejoint l’Europe et réussit à s’installer en Norvège. Avant de rapidement retourner au Kenya. «L’Europe est belle et sûre, mais tout dépend de ce que vous voulez dans la vie, a-t-il déclaré depuis Nairobi à l’AFP. Quelque chose me disait que je pouvais avoir plus d’impact ici qu’à Oslo.» De retour au camp kényan de Dadaab en 2017, cette fois-ci pour un reportage dans une école, une jeune fille demande au journaliste de l’aider à trouver un livre de biologie. Elle veut être médecin. Mais dans son école, il n’y a qu’un manuel de biologie pour quinze élèves. L’ancien réfugié lui achète le livre. «Ce fut le début de ma vocation», poursuit Abdullahi Mire. L’adolescente d’alors est aujourd’hui infirmière stagiaire à la maternité de l’hôpital principal du camp, poursuivant son rêve de devenir médecin.

Plus de 7 millions d’enfants privés d’éducation

Le journaliste décide alors de créer son association Refugee Youth Education Hub pour sensibiliser aux difficultés d’accès à l’éducation pour les réfugiés et obtenir des dons de livres. C’est ainsi qu’il achemine des dizaines de milliers d’ouvrages dans les camps du Kenya. Le programme permet aussi d’aider toujours plus de réfugiés à accéder à l’enseignement supérieur. «Je connais des dizaines de filles qui voulaient devenir enseignantes et qui le sont aujourd’hui, se réjouit Abdullahi Mire. Les livres donnent la possibilité de rêver et de réfléchir à une carrière, à la manière de devenir un meilleur citoyen de ce monde.» Selon un rapport 2023 du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, plus de la moitié des 14,8 millions d’enfants réfugiés dans le monde en âge d’aller à l’école, soit plus de 7 millions, n’y mettent pas les pieds.

Aux côtés d’Abdullahi Mire, quatre lauréats régionaux – représentant les Amériques, l’Asie-Pacifique, l’Europe et le Moyen-Orient/Afrique du Nord – recevront également la distinction du HCR pour leur travail exceptionnel auprès des réfugiés, des personnes déplacées dans leur pays et des apatrides. Il s’agit d’Elizabeth Moreno Barco, militante défenseuse des communautés affectées par la guerre civile colombienne ; du quatuor Abdullah Habib, Sahat Zia Hero, Salim Khan et Shahida Win pour leur création de contenus sur la minorité des Rohingyas en Birmanie ; du couple polonais Lena Grochowska et Wladyslaw Grochowski pour les hébergements et formations professionnelles qu’ils proposent aux réfugiés ; et enfin d’Asia Al-Mashreqi, directrice d’une fondation ayant fourni une assistance humanitaire à près de 2 millions de personnes au Yémen.