Dans la presse internationale, la commune de Mazan ne renvoyait, il y a encore quelques semaines, qu’à une seule occurrence. Celle du mariage de l’actrice britannique Keira Knightley avec le musicien James Righton, qui a eu lieu dans cette petite ville du sud de la France en 2013. Depuis le début, la semaine dernière, du procès de Dominique Pelicot, accusé d’y avoir drogué, violé et fait violer son épouse Gisèle pendant près d’une décennie par au moins une cinquantaine d’hommes, le nom de Mazan ne cesse de résonner dans les journaux internationaux. La BBC y a dépêché des reporters chargés d’interroger les femmes de la commune, des tabloïds britanniques ont photographié l’ancienne maison du couple sous tous les angles, et le New York Times consacre un dossier entier à «la France confrontée à l’horreur d’une affaire de viol».
Tout, dans cette affaire, est de nature à fasciner les médias. A commencer par les faits mis en procès : comment un sexagénaire a-t-il pu assommer son épouse de sédatifs pendant dix ans, et après quatre décennies de mariage, pour la violer et l’offrir en pâture à des dizaines d’inconnus ? «Tout semble presque trop choquant pour être encaissé – la durée pendant laquelle Dominique Pelicot est accusé d’avoir drogué sa femme, l’aspect ordinaire et aimant du couple à la retraite et le nombre d’hommes accusés de l’avoir violée», écrit l’envoyée spéciale du New York Times dans son premier compte rendu d’audience.
Au tribunal d’Avignon, les médias étrangers ont découvert à la barre une femme admirable, que la plupart n’hésitent pas à qualifier d’«héroïne». «Bien que le [Washington] Post n’ait pas l’habitude de nommer les victimes de crimes sexuels, dans ce cas précis, elle a demandé à être identifiée par son nom de femme mariée, Gisèle Pelicot. La victime présumée, âgée de 72 ans, a demandé que le procès se déroule en audience publique, parce qu’elle voulait que le monde sache ce qui lui était arrivé», indique l’autre grand quotidien américain.
«La honte doit changer de camp»
L’ouverture du procès aux médias est notée par tous les journaux. «Cette décision est une forme de militantisme – elle a d’abord hésité, puis a été convaincue par sa fille – pour désigner clairement ceux qui doivent se sentir déshonorés. “La honte doit changer de camp…”, a déclaré son avocat, une phrase qui est devenue une bannière dans cette affaire», écrit notamment le correspondant à Paris d’El Pais.
Les photos de Gisèle Pelicot ouvrent tous les articles. Son carré long, ses lunettes de soleil, son visage offert aux appareils photos des journalistes. Celui qu’elle accuse est une ombre omniprésente mais invisible. Dominique Pelicot n’a pas encore témoigné et seuls ceux qui assistent au procès connaissent son visage, protégé par la loi française qui interdit les photos des accusés, comme l’expliquent plusieurs journaux. On ne le connaît que par ses déclarations aux policiers et ses procédés minutieux pour faire violer sa femme à répétition par des étrangers. Pour autant, les journaux internationaux préviennent tous : il serait beaucoup trop facile de qualifier ce retraité de «monstre».
Accoler cet adjectif aux violeurs présumés, c’est participer à leur «mécanisme de défense», estime l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. «Il serait bien plus inquiétant de devoir admettre que les violeurs sont tous ancrés dans un tissu social continu de misogynie banalisée», écrit sa journaliste Samira El Ouassil. Comme beaucoup d’autres, elle note que les prévenus sont «un échantillon de la société, et pas seulement de la société française».
Le chroniqueur d’El Pais Manuel Jabois invite aussi à se pencher sur l’affreuse banalité au départ de l’affaire : un mari qui viole sa femme. «[A cause de ses pertes de mémoire], Gisèle Pelicot pensait avoir les prémices de la maladie d’Alzheimer ou une tumeur au cerveau. Mais il s’agissait de quelque chose de plus sinistre : un mari dont elle était amoureuse», écrit-il.