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RobotsMali, l’initiative malienne qui mise sur l’IA pour apprendre le bambara plutôt que le français à l’école

Face au manque de livres en bambara, l’une des langues nationales du Mali, la start-up RobotsMali utilise ChatGPT, Google Traduction et des générateurs d’image pour apprendre cette langue nationale aux élèves.
Une jeune fille utilise un livre pour apprendre le bambara, l'une des principales langues nationales du Mali, dans une école de Bamako, le 10 novembre 2022. (-/AFP)
publié le 16 avril 2024 à 18h26

ChatGPT et l’école peuvent donc faire bon ménage. Depuis plus d’un an, l’entreprise RobotsMali propose, en partenariat avec le Ministère de l’éducation malien, aux jeunes élèves de redécouvrir le bambara à l’école grâce à des livres générés par IA. Une centaine de livres ont été créés, à coup de ChatGPT et Google Traduction, pour remédier au manque de ressources pédagogiques dans cette langue nationale. Avec l’abandon du français en 2023, elles sont treize, comme elles, à figurer parmi les langues officielles du Mali.

Tout ou presque de ces récits étudiés à l’école a été créé par l’intelligence artificielle, mais le processus n’est pas si simple : face à un ChatGPT encore bien limité dans des langues africaines moins influentes, les créateurs de ces «œuvres» made in IA commencent par demander au chatbot une histoire en français. Une étape déjà fastidieuse, entre le nécessaire gommage des stéréotypes du générateur de texte, et la volonté des créateurs de proposer un récit qui colle aux ressentis, valeurs et centres d’intérêt des jeunes maliens.

«Nous avons régulièrement rencontré des difficultés avec des images idéalisées de corps humains, des vêtements peu familiers et souvent inappropriés, et des environnements reflétant les normes européennes qui ne ressemblaient en rien aux environnements africains typiques», a confié au média Rest of World Michael Leventhal, cofondateur de la start-up RobotsMali.

De l’IA de A à Z

Vient ensuite l’adaptation en bambara, grâce à un Google Traduction lui aussi dopé à l’IA. Puis le texte ainsi obtenu est relu par un expert : «Il y a beaucoup de choses à corriger, mais il ne faut que quelques secondes pour traduire une quantité de texte qui, en temps normal, aurait demandé des semaines ou des mois», a expliqué au Washington Post Séni Tognine, membre du ministère de l’éducation qui collabore avec RobotsMali. Enfin, l’entreprise va jusqu’à utiliser des générateurs d’image, comme Playground AI, pour illustrer ses «livres», généralement distribués aux élèves sur des feuilles de papier. En un an, 300 élèves d’école primaire auraient bénéficié de livres comme «Le Bouton du roi», «Bilissi et la Grande Forêt», «Gaoussou et le Roi Sidik», selon Michael Leventhal, dans ce pays où 70 % des habitants ne savent ni lire ni écrire.

«L’intelligence artificielle contribuera grandement à garantir qu’aucune langue ne soit marginalisée», a estimé l’ancien ministre malien de l’enseignement supérieur et de la recherche du Mali, Assétou Founé Samakén. Il espère que RobotsMali «deviendra le centre d’utilisation de l’IA pour améliorer l’enseignement». La start-up, fondée en 2017, se consacre depuis ses débuts à l’éducation à la robotique et à l’intelligence artificielle pour les plus jeunes, sous l’égide du ministère malien de l’Education.

Une prise de distance avec l’Occident

Avec son usage de l’IA conscient des stéréotypes d’outils comme ChatGPT, et en préférant une langue nationale au français, RobotsMali traduit également une rupture avec l’Occident de la part du Mali. Un enjeu que l’on peut retrouver chez d’autres acteurs africains du milieu, comme l’entreprise Lelapa AI, qui revendique sur son site une IA «pour les Africains, par les Africains, résolvant les problèmes africains», et œuvre à la création de modèles d’intelligences artificielles capables de comprendre les langues africaines. Car pour le moment, lorsqu’il est interrogé dans l’un du millier de langages existant en Afrique, ChatGPT peine souvent à offrir une réponse un tant soit peu satisfaisante. En français, beaucoup moins.

Cette initiative pour revaloriser le bambara à l’école est à mettre en relief avec des relations franco-maliennes détériorées depuis plusieurs années, et plus particulièrement avec le coup d’Etat de colonels à l’été 2020. Les putschistes, qui ont construit leur popularité sur une surenchère patriotique et anti-impérialiste, n’ont pas tardé à accuser la France de tous les maux du Mali, jusqu’à pousser les soldats français de Barkhane vers la sortie en 2022. Depuis, l’Etat français a placé tout le Mali, Bamako compris, en zone rouge «formellement déconseillée» aux voyageurs.