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Liberté de la presse

RSF : près de 800 journalistes emprisonnés en 2023

Guerre au Proche-Orientdossier
A ce jour, 547 journalistes restent détenus dans 45 pays, selon Reporters sans frontières, dont près de la moitié en Chine, en Birmanie, en Biélorussie et au Vietnam.
Mobilisation en soutien du journaliste tunisien Khalifa Guesmi, condamné à cinq ans de prison, le 18 mai 2023, à Tunis. ( Yassine Gaidi/Anadolu.AFP)
publié le 31 décembre 2023 à 6h00

C’est un sombre bilan qui, au tournant de l’année, rappelle que le journalisme demeure, aux quatre coins du monde, une profession trop souvent réprimée. Deux semaines après avoir publié le bilan des journalistes tués dans l’exercice de leurs fonctions (45 au 1er décembre 2023, le plus bas depuis 2002 malgré la tragédie à Gaza), Reporters sans frontières communique ce dimanche 31 décembre le nombre de journalistes emprisonnés en 2023. «Une méthode de répression utilisée dans près de la moitié des pays du monde», précise RSF.

Selon l’organisation, qui s’appuie sur un vaste réseau de correspondants dans 160 pays, 779 professionnels des médias ont connu la prison cette année – 547 d’entre eux restent détenus (ou assignés à résidence) dans 45 pays. «Un journaliste en prison, c’est par définition un journaliste empêché de travailler. Mais c’est aussi un journaliste intimidé pour le futur, et avec lui des centaines voire des milliers de collègues avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête», déplore Christophe Deloire, secrétaire général de RSF, qui salue «le courage» de tous les journalistes «qui osent braver les risques qui leur sont imposés par des régimes autoritaires».

Chine, Birmanie et Biélorussie, pays les plus répressifs

En tête de ces régimes répressifs figure sans surprise la Chine, plus grande prison du monde pour les journalistes. Au moins 121 reporters restent détenus dans les geôles chinoises, dont 42 au Xinjiang et 12 à Hongkong, soit près d’un quart de la totalité des journalistes détenus dans le monde. Parmi eux, Jimmy Lai, emblème de la liberté de la presse et du mouvement pro-démocratie à Hongkong. Détenu depuis 2020 et poursuivi en vertu de la loi liberticide sur la sécurité nationale, le patron de presse de 76 ans, propriétaire du quotidien Apple Daily fermé en 2021, encourt la prison à vie au terme d’un procès entamé mi-décembre.

Vient ensuite la Birmanie, où la junte militaire au pouvoir depuis 2021, après avoir renversé le gouvernement démocratiquement d’Aung San Suu Kyi, détient 69 journalistes. En proie à de violents affrontements ces derniers mois entre la junte et plusieurs groupes armés ethniques, le pays a prononcé la plus lourde peine contre un professionnel des médias cette année, en condamnant à vingt ans de prison le photojournaliste Sai Zaw Thaike, accusé notamment de «désinformation» et de «sédition».

Dirigée d’une main de fer depuis près de trente ans par le dictateur Alexandre Loukachenko, la Biélorussie complète cette année le sinistre podium des régimes qui enferment le plus les journalistes : 39 d’entre eux y sont détenus, soit 7 de plus que l’an dernier. La Biélorussie est en outre le pays qui compte le plus grand nombre de femmes journalistes détenues sur son sol (10), après la Chine (14).

«Moyen d’intimidation contre les journalistes»

Derrière ce trio de tête, une dizaine de pays (Ethiopie, Egypte, Arabie Saoudite…) habitués aux bas-fonds du classement annuel de RSF sur la liberté de la presse ont emprisonné au cours de l’année écoulée au moins une vingtaine de journalistes. Parfois beaucoup plus, à l’image de l’Iran (58) et de la Turquie (49), deux régimes «qui utilisent à outrance les détentions – souvent de courte durée et à répétition – comme moyen d’intimidation contre les journalistes», dénonce l’organisation. Vingt-et-un journalistes sont toujours derrière les barreaux en Iran et cinq en Turquie, dont quatre Kurdes.

Au Vietnam, quatrième pays qui compte aujourd’hui le plus de journalistes en détention (36), et où la presse est aux ordres du parti unique, les blogueurs sont particulièrement ciblés par la répression. Vingt d’entre eux ont été emprisonnés cette année, dont Nguyen Lan Thang, condamné en avril à huit ans de prison pour «propagande antiétatique». Une répression qui s’abat aussi sur les défenseurs des droits humains et les militants issus de la société civile, en particulier les membres d’ONG écologistes.

Dans une Russie en guerre contre son voisin ukrainien, la répression s’est également accentuée depuis l’an dernier contre la société civile, les rares figures d’opposition encore en liberté et les médias. Au cours de l’année écoulée, 34 reporters y ont été détenus et 29 se trouvent toujours derrière les barreaux. Parmi eux, deux citoyens américains : le correspondant du Wall Street Journal, Evan Gershkovich, 32 ans, qui vit en Russie depuis six ans et travaillait avec une accréditation officielle du ministère des Affaires étrangères, arrêté fin mars lors d’un reportage à Ekaterinbourg ; et la journaliste russo-américaine, Alsu Kurmasheva, employée de Radio Free Europe/Radio Liberty, accusée d’avoir omis de se déclarer «agent de l’étranger».

Peines records pour les femmes journalistes

Autre pays en guerre épinglé par Reporters sans frontières, Israël fait l’objet de vives critiques pour la violence de son offensive militaire dans la bande de Gaza, qui n’épargne pas les journalistes. Au moins 76 d’entre eux ont été tués par des frappes israéliennes depuis le 7 octobre, «dont au moins 16 dans le cadre de leurs fonctions», indique RSF. Qui dénonce en outre la recrudescence d’arrestations et de détentions de journalistes palestiniens, principalement en Cisjordanie. «Ils sont au moins 34 toujours en détention en cette fin d’année 2023. La plupart sont enfermés sans inculpation ni jugement», note l’organisation.

Enfin, si le nombre de journalistes détenus fin 2023 marque un léger recul par rapport au chiffre sans précédent de 2022 (547 contre 569), Reporters sans frontières s’inquiète en revanche de la répression de plus en plus féroce contre les femmes journalistes. Près de 70 d’entre elles sont aujourd’hui derrière les barreaux, dont 14 en Chine, 11 en Biélorussie et 8 en Birmanie. Surtout, «2023 a connu des peines d’emprisonnement record pour les femmes journalistes», alerte RSF.

L’organisation note que six des huit plus lourdes peines prononcées cette année ont visé des femmes. En Iran, où la répression s’est considérablement accrue depuis le début des manifestations consécutives à la mort de Mahsa Amini en septembre 2022, les journalistes Elaheh Mohammadi et Niloofar Hamedi, qui avaient contribué à rendre publique la mort de la jeune Kurde, ont écopé respectivement de six et sept ans de prison (1). En Biélorussie, trois figures emblématiques du journalisme indépendant, Maryna Zolatava, Lioudmila Tchekina et Valeriya Kastsiouhova, ont été condamnées à des peines allant de 10 à 12 ans de réclusion. Enfin en Afrique subsaharienne, l’animatrice de radio Floriane Irangabiye, basée au Rwanda mais arrêtée au Burundi en août 2022 lors d’une visite à sa famille, purge une peine de dix ans de prison.

(1) Auxquels se sont ajoutés cinq ans pour complot contre la sécurité de l’Etat et un an pour propagande contre la République islamique, mais la sentence la plus lourde s’appliquant, les peines seront fondues.