Le Parlement européen a donné un premier feu vert ce mardi 3 octobre à une loi destinée à défendre le pluralisme et l’indépendance des médias ainsi que le secret des sources. Les eurodéputés ont adopté un texte sur ce sujet au cœur de l’actualité en France, avec la récente garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, la convocation de journalistes de Libération par la police judiciaire (PJ) et le jour où s’ouvrent des Etats généraux de l’information.
Un texte finalisé par la Commission en septembre 2022, écrit notamment en réponse à la montée du populisme en Pologne et en Hongrie, où les conditions de travail des médias ont été mises à mal depuis plusieurs années. Cette «loi européenne sur la liberté des médias» doit ainsi prévoir des garanties pour offrir aux rédactions une indépendance éditoriale face à des pouvoirs politiques ou économiques, et fixe des obligations quant à la transparence dans la propriété des médias. Le vote, marqué par 448 voix pour (102 contre et 75 abstentions), ouvre désormais la voie à des négociations avec les Etats membres, qui s’annoncent ardues, avant une adoption finale.
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Dans les grandes lignes, le texte veut interdire aux pays et entités privées d’obliger des journalistes à divulguer leurs sources. La version votée par les eurodéputés proscrit également les détentions de journalistes liées à leur activité professionnelle, ainsi que les fouilles de documents et perquisitions de leur bureau ou domicile, «en particulier quand de telles actions peuvent conduire à l’accès à des sources journalistiques».
L’exception de la «sécurité nationale» en question
Pas de quoi rassurer totalement la profession. Quatre-vingts organisations et syndicats de journalistes majoritairement européens ont appelé dans une lettre ouverte les eurodéputés à aller plus loin. Car la loi, en l’état, permet l’utilisation de logiciels espions à leur encontre au nom de la sécurité intérieure. Ainsi, des outils de type Pegasus (logiciel de surveillance des smartphones) pourront être employés «au cas par cas» si les reporters sont visés par une enquête pour «crime grave» – tel que le terrorisme ou la traite d’êtres humains – avec l’appui d’une autorité judiciaire indépendante. Les journalistes souhaitent la suppression de l’exception de «sécurité nationale», ainsi qu’une restriction de la liste de crimes susceptibles d’entraîner des mesures à l’égard de leur auteur et de ses sources.
Au moment d’adopter en juin leur position sur le texte de loi européen, certains Etats membres, dont la France, insistaient déjà sur les dérogations possibles aux dispositions de cette loi, en invoquant l’exception de la «sécurité nationale». La journaliste Ariane Lavrilleux, collaboratrice du site d’investigation Disclose placée en garde à vue pendant 39 heures les 19 et 20 septembre avec perquisition de domicile, fait justement l’objet d’une information judiciaire pour «compromission du secret-défense».
Au même moment, @Europarl_FR s'apprête à voter une des pires lois liberticide de son histoire : #MediaFredoomAct va autoriser l'espionnage des journalistes au nom de la "sécurité intérieure" - à la demande du gouv🇫🇷
— Ariane Lavrilleux (@AriaLavrilleux) October 2, 2023
Rassemblement à Marseille⤵️https://t.co/z5Hjk3thJV
La question de la modération, suppression et restriction des contenus journalistiques par les plateformes en ligne (Instagram, Facebook, Twitter…) est elle aussi sensible. Pour les médias comme pour les lecteurs, l’accès aux informations en ligne est en partie soumis au bon vouloir des géants du numérique, décisionnaires sur leurs réseaux. La nouvelle loi offrirait aux médias un délai de vingt-quatre heures pour se défendre d’une éventuelle suspension ou restriction sur les réseaux sociaux. A condition qu’ils remplissent certaines conditions. Parmi les critères requis : transparence sur leurs propriétaires, indépendance éditoriale, supervision par une autorité nationale ou respect de normes d’autorégulation et non-production de contenus par intelligence artificielle sans contrôle humain de ce contenu.
En France, ce mardi marque également le coup d’envoi des Etats généraux de l’information. La tenue de l’événement, promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2022, devrait fixer les règles du jeu d’un métier en plein bouleversement. Le gouvernement a l’occasion de prétendre à mieux que sa 24e place en 2023 au classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.