Cet article est publié dans le cadre du «Libé des solutions spécial 8 mars», à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Retrouvez tous les articles de cette édition ici, et le journal en kiosque samedi 8 et dimanche 9 mars.
Le soleil s’étire sur les 194 drapeaux des Etats membres de l’Unesco flottant devant le siège de l’institution, à Paris, ce vendredi 7 mars. Rouge, noir et vert, celui de l’Afghanistan accueille filles et femmes afghanes venues témoigner de leur disparition sociale orchestrée par les talibans, au pouvoir depuis 2021. Sportives, journalistes, artistes, chercheuses et militantes – toutes celles que le régime taliban voudrait faire taire et enfermer – parlent aujourd’hui librement aux côtés de défenseurs des droits des femmes et d’experts internationaux. Les témoignages des intervenants se tissent comme un cri commun contre un «apartheid de genre», qu’ils appellent à reconnaître comme un crime contre l’humanité.
«Malgré la situation sur place, le monde continue de considérer les talibans comme une autorité reconnue», déplore la taekwondoïste Marzieh Hamidi, dans la première table ronde. L’athlète afghane de 22 ans aux cheveux détachés et libérés de tout voile, dénonce une «manipulation des femmes» par un régime qui «lave le cerveau» et prône, dans ses médersas (établissement d’enseignement religieux musulman), une «éducation extrémiste». «Les talibans transforment les femmes en femmes talibanes, fustige-t-elle en marquant chacun de ses mots. Ils ne se contentent pas de leur interdire l’accès à l’éducation et à la vie publique, ils créent une génération de femmes qui servent leur idéologie».
Richard Bennett, rapporteur spécial de l’Afghanistan pour l’ONU, rappelle qu’«il va y avoir un nouveau traité international sur les crimes contre l’humanité et qu’il pourrait inclure, ou pas, l’apartheid de genre. Cela va prendre du temps mais ne doit pas nous empêcher d’utiliser ce terme, et de travailler pour qu’il soit codifié dans le droit international.»
Projets d’apprentissage alternatifs
«Les femmes afghanes sont privées de leurs droits fondamentaux, d’éducation et exclues de la vie publique, rappelle l’ambassadeur de l’Afghanistan à l’Unesco, Mohammad Homayoon Azizi, exilé en France pour échapper lui aussi aux talibans. Elles sont devenues sans voix. [...] Elles subissent les mariages forcés, l’esclavage, les violences sexuelles [...] et l’interdiction de travailler ou de marcher en public.»
Pour la deuxième table ronde, cinq femmes ont présenté leurs projets d’apprentissage alternatifs : inclusion des femmes dans la prise de décision au niveau national, plateforme de cours à distance, création d’une application d’informations d’urgence en temps réel aux résidents de Kaboul, nécessité d’ouverture de bourses et des universités internationales aux filles afghanes. «Il ne s’agit pas de fournir une éducation pour le plaisir de l’éducation. Il s’agit de s’assurer qu’elles sont sur un pied d’égalité avec toutes les femmes du monde», scande Sara Wahedi, 28 ans, spécialiste des technologies et militante des droits humains. «Nous voulons une technologie et une éducation moderne pour nos filles», reprend la chercheuse Zarqa Yaftali avant d’ajouter que «ce n’est ni [leur] choix, ni celui de [leur] famille» de ne pouvoir se rendre à l’école en tant que femme mais bien «celui du système».
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Selon de nouvelles données de l’Unesco présentées vendredi, «1,5 million de filles afghanes est privé d’enseignement secondaire en raison de lois régressives qui bannissent les filles de l’école, a rappelé en introduction le secrétaire général adjoint de l’Unesco. Si l’interdiction de l’enseignement post primaire persiste jusqu’en 2030, plus de quatre millions de filles seront concernées.»
«Il faut activement s’engager pour un avenir où aucune femme ne doit choisir entre ses droits et sa survie», appelle en conclusion Firmin Edouard Matoko, sous-directeur général du secteur pour la priorité Afrique et les relations extérieures de l’Unesco, s’adressant à «toutes les femmes afghanes qui ne sont pas dans cette salle», avant de saluer : «Votre courage nous inspire et nous pousse à agir.»