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Histoire

Soixante ans des accords d’Evian: vu d’Algérie, «l’adieu aux armes et aux larmes»

Guerre d'Algérie (1954-1962), un conflit historiquedossier
Si le soixantième anniversaire de fin de la guerre d’Algérie donne lieu en France à une multitude de commémorations et de publications, la date est moins évoquée de l’autre côté de la Méditerranée.
A Alger, le 20 mars 1962, au lendemain de la proclamation du cessez-le-feu. (AFP)
publié le 18 mars 2022 à 12h41

Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, les silences pèsent encore. Alors qu’en France, le soixantième anniversaire de la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, donne lieu à une myriade de commémorations officielles et de publications, la date est peu célébrée en Algérie. De ce côté-ci de la Méditerranée, c’est davantage la «Toussaint rouge», jour de la déclaration du 1er novembre 1954, qui est retenue. Ce jour-là, le Front de libération nationale (FLN) commettait une série d’attentats et lançait un appel à l’insurrection du peuple algérien.

Jeudi, lors d’une cérémonie organisée par le ministère des Affaires étrangères algérien, le conseiller du président Abdelmadjid Tebboune chargé des archives et de la mémoire, Abdelmadjid Chikhi, a ainsi affirmé que les accords d’Evian sont une «une réponse à tous les principes et objectifs fixés par la proclamation du 1er novembre 1954, à savoir le recouvrement de la souveraineté nationale, l’intégrité territoriale et l’unité du peuple algérien».

«Ignoble guerre coloniale»

En France, les accords du 18 mars 1962 marquent la fin d’une guerre qui aura duré huit années. Pour l’Algérie, ils signifient l’indépendance, l’espoir d’un changement et un vent de liberté. Surtout, ils signent la fin de 130 ans de présence française, la «fin d’un cauchemar», d’une «ignoble guerre coloniale», écrit Youcef Dris dans le Quotidien d’Oran. «Malgré les drames provoqués par les va-t-en-guerre et les adeptes de la terre brûlée, les accords d’Evian furent accueillis en Algérie comme en France par toute une génération comme une délivrance, un espoir, la fin d’une sale guerre qui n’osait même pas dire son nom», souligne l’écrivain algérien.

Le quotidien l’Expression retrace, lui, les négociations entre le FLN et «l’administration coloniale française» amorcées dès 1956. Après le «combat libérateur» des militants indépendantistes, le «processus» de décolonisation visait à faire entendre «la voix d’un peuple en arme et qui souffre des affres d’une longue colonisation de peuplement et faite de massacres et d’enfumages des plus inhumains», relate le journaliste Hocine Neffah. La fin de la «guerre de libération nationale», note-t-il encore, signait «l’adieu aux armes et aux larmes».

Soixante ans après la fin de la guerre, l’Algérie rend aussi hommage à ses moudjahidins, les combattants du mouvement de libération nationale algérien. L’Expression honore ainsi les «martyrs de mars» : Larbi Ben M’hidi, le chef du FLN à Alger, que le général Paul Aussaresses avouera avoir pendu dans une ferme d’un colon près d’Alger, dans la nuit du 3 au 4 mars 1957 ; Mouloud Feraoun, un écrivain ami de Camus, assassiné par un commando de l’OAS le 15 mars 1962 ; ou encore Mustapha Ben Boulaïd, l’un des fondateurs du FLN et commandant de la région des Aurès au début de la guerre. «Des martyrs aux vertus et aux faits d’armes tombés au champ d’honneur», rapporte le quotidien.

«Nous sommes responsables de nos échecs»

Dans la presse algérienne, des voix appellent également à tourner la page d’un passé douloureux et à se tourner vers l’avenir. Le directeur de la rédaction du grand quotidien Liberté, Hassane Ouali, lie dans son éditorial du 17 mars le destin de deux personnalités, symbole de «l’intelligence et la création intellectuelle de l’Algérie combattante» : Mouloud Feraoun et Jean Amrouche. Ecrivain kabyle et chrétien, homme de lettres opposé à la colonisation et militant de l’indépendance de l’Algérie, Amrouche reste une figure peu connue en Algérie – un «inconnu», disait l’écrivain Kateb Yacine.

Selon le directeur de la rédaction de Liberté, «la construction idéologique et culturelle de l’Algérie indépendante s’est faite en jetant dans l’oubli» ces deux personnalités. «S’il faut en effet rappeler à la France ce qu’a été la barbarie coloniale, poursuit Hassane Ouali, il nous faut aussi et surtout regarder ce que nous avons nous-mêmes infligé à ceux qui ont fertilisé cette terre. Nous sommes responsables de nos échecs. Et c’est à nous d’être responsables de nos réussites à inventer.»

Soixante ans après la fin de la guerre, nombreux sont les Algériens à dénoncer un système politique paralysé accusé d’avoir confisqué l’indépendance à son profit. Et entretenu, pour reprendre les mots d’Emmanuel Macron, une «rente mémorielle». Depuis 2019, le pouvoir algérien est ainsi contesté dans la rue, à travers le mouvement du Hirak. Dans le Quotidien d’Oran, Youcef Dris appelle lui aussi à ne pas faire de la guerre d’Algérie un «fonds de commerce». «Nous devons dire aux jeunes – du même âge que ceux qui ont fait la révolution – d’inventer une nouvelle révolution.»