Les mêmes photos s’affichent en haut de tous les principaux sites d’information américains. L’hélicoptère à double hélice s’élevant au-dessus de l’ambassade, la foule qui envahit l’aéroport de Kaboul et les talibans installés dans un bureau du palais présidentiel. «La tragédie de l’Afghanistan», titre le New York Times dans un éditorial qui revient sur l’échec de deux décennies d’«efforts incroyablement coûteux et sanglants pour établir un gouvernement laïc». Une «tragédie» car «le rêve américain d’être la “nation indispensable” dans l’élaboration d’un monde où les droits civiques, ceux des femmes et la tolérance religieuse soient respectés, s’est révélé être juste cela : un rêve».
Ce lundi matin, les différents médias américains tentent d’imaginer à quoi va ressembler un gouvernement taliban. Pour cela, le Washington Post revient sur leur règne précédent, entre 1996 et 2001. Le groupe armé a déjà annoncé que le pays reprendra le nom qu’il utilisait pendant cette période, l’Etat islamique d’Afghanistan. L’article revient sur leur violence extrême. Peu après leur prise de Kaboul, en septembre 1996, «les combattants ont torturé et tué l’ancien président Najibullah avant de pendre son corps à un panneau de circulation». Dans la foulée du déploiement d’une police morale, «les femmes ont été forcées de porter la burqa, un vêtement large qui couvre entièrement leur visage et leur corps. Les écoles pour filles ont fermé. Les femmes qui n’étaient pas accompagnées dans l’espace public pouvaient être battues». Une liste glaçante, pour prévenir de ce dont les talibans sont capables.
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«Désastre politique pour Biden»
En écho, le site de la NPR titre : «Les talibans disent qu’ils ont changé. Les experts n’y croient pas et craignent pour l’Afghanistan.» A la question : comment gouverneront-ils une fois au pouvoir ? La radio publique répond : «Pas très différemment de la dernière fois.» Mais la NPR note que les talibans ne comptent pas être de nouveau les parias de la communauté internationale. Ces dernières semaines, «ils ont multiplié les contacts avec leurs alliés et ont tenté de rassurer leurs anciens adversaires, envoyant des délégations en Russie, Chine et en Iran, en espérant gagner en légitimité, voire un soutien direct, des puissances régionales».
Les médias américains tentent également d’analyser la défaite américaine et la responsabilité du président actuel. Pour CNN, c’est un «désastre politique pour Joe Biden», qui va «entacher son héritage». Selon la chaîne de télévision, la victoire des talibans marque la fin de vingt ans d’échecs et d’incompréhensions de la politique et la culture afghanes. Le Washington Post s’étonne pour sa part des déclarations froides du locataire de la Maison Blanche. «Un an ou cinq ans de présence militaire américaine de plus n’aurait rien changé si l’armée afghane ne peut ou ne veut tenir son propre pays», avait-il déclaré, loin de «l’empathie à l’œil humide» qu’on lui connaît habituellement.
Spectre du Vietnam
Le quotidien américain n’est vraiment pas tendre avec Joe Biden. «Vingt ans d’erreurs en Afghanistan, mais ce désastre prévisible est la faute de Biden», écrit Max Boot, éditorialiste. Il revient sur les errements et improvisations de quatre administrations successives depuis celle George W. Bush, deux démocrates et deux républicaines. Surtout, il insiste sur la déclaration de Biden, le 8 juillet : «Les talibans ne sont pas l’armée du Nord-Vietnam. Ils n’ont pas du tout les mêmes capacités. A aucun moment vous ne verrez des gens évacués par le toit de l’ambassade en Afghanistan.» Le président américain s’est très lourdement trompé. «Quarante-huit jours plus tard, les hélicoptères géants tournaient dans les airs de Kaboul pour évacuer l’ambassade américaine», assène Max Boot.
Alors que la situation reste floue en Afghanistan, les médias tentent de trouver des points de comparaison dans le passé pour comprendre. Le spectre du Vietnam revient souvent, avec la crainte de reproduire les mêmes échecs. Le New York Times rappelle quant à lui que Biden est arrivé à la Maison Blanche avec «plus d’expérience en politique étrangère que tous les précédents présidents». Le journal indique que le chef d’Etat avait signalé au printemps qu’il voulait à tout prix éviter les scènes de panique qui ont marqué les esprits lors du retrait de Saïgon en 1975. A l’époque, Joe Biden était déjà sénateur. Le Washington Post rapporte ses paroles, dans la foulée de la débâcle américaine au Vietnam : «Il me semble que nous avons appris beaucoup sur les interventions militaires irréfléchies à l’étranger.» Apparemment pas assez.
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