Le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, principal opposant au président turc Recep Tayyip Erdogan, a été interpellé ce mercredi 19 mars au matin ainsi que plusieurs dizaines de ses collaborateurs, d’élus et membres de son parti, accusés de «corruption», selon le procureur de la ville. Selon le communiqué du bureau du procureur d’Istanbul, Ekrem Imamoglu est aussi accusé d’extorsion, le désignant comme le chef d’une «organisation criminelle à but lucratif». L’agence étatique Anadolu évoque également des poursuites à l’encontre de sept suspects dont le maire, des accusations de «terrorisme» et «d’aide au PKK», le Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit en Turquie. Des accusations confirmées par le ministère de la Justice Ylmaz Tunc en milieu de journée.
Selon un de ses proches collaborateurs, le maire, pressenti par son parti du CHP (Parti républicain du peuple, centre-gauche) pour être son champion à la prochaine élection présidentielle en 2028, a été emmené dans les locaux de la police. Dans une vidéo postée sur X juste avant d’être embarqué, l’édile de 53 ans, en train de s’habiller et de nouer sa cravate, dénonce la fouille de son domicile : «Des centaines de policiers sont arrivés à ma porte. La police fait irruption chez moi et frappe à ma porte. Je m’en remets à ma nation», dit-il.
Tous les rassemblements et manifestations ont été interdits jusqu’à dimanche par le gouverneur d’Istanbul et, selon la chaine de télévision privée NTV, la station de métro de l’emblématique place Taksim au centre d’Istanbul, est fermée. Avant son interpellation, Ekrem Imamoglu avait prévu de rassembler ce mercredi ses partisans sur la rive asiatique d’Istanbul.
Harcèlement judiciaire
Le président du CHP, Özgur Özel, a dénoncé «un coup de force» «contre le prochain président» de la Turquie et fustigé une entrave à «la volonté du peuple».
Ekrem Imamoglu, plus que jamais dans le viseur d’Erdogan – qu’il rêve de détrôner – est seul en lice pour représenter son parti à la présidentielle prévue en 2028. Il devait être officiellement désigné dimanche au cours d’une primaire au sein du CHP, mais les obstacles se multiplient : l’université d’Istanbul a notamment annulé mardi son diplôme universitaire. En vertu de la Constitution, un diplôme de l’enseignement supérieur est exigé pour toute candidature aux fonctions de chef de l’Etat. En réaction, le maire a dénoncé une décision «illégale» et signifié son intention de la contester en justice, estimant que le conseil d’administration de l’université stambouliote n’était pas habilité à agir ainsi. «Les droits acquis de chacun dans ce pays sont menacés», a-t-il accusé.
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Ekrem Imamoglu est également visé par cinq autres procédures judiciaires, dont deux ont été ouvertes en janvier. En 2023, le maire d’Istanbul avait déjà été empêché de facto d’être candidat à la présidentielle, en raison d’une condamnation en suspens pour «insulte» à des responsables du comité électoral turc. Opposant véhément au président Erdogan, le maire de la capitale économique a dénoncé fin janvier le «harcèlement» de la justice à son encontre. Il sortait alors d’un tribunal d’Istanbul, où il était entendu dans le cadre d’une enquête ouverte après des critiques contre le procureur général de la ville.
La livre et la Bourse dévissent
Son arrestation a provoqué une chute immédiate de la livre turque qui a atteint le record de 40 livres pour un dollar et de 42 livres pour un euro (après avoir plongé jusqu’à 44,7 pour un euro dans la matinée). Un plancher historique pour la devise qui, en octobre 2024, s’était stabilisé entre 34,1 et 34,4 livres pour un dollar et 40,1 livre pour un euro.
La Bourse d’Istanbul a également dû temporairement interrompre les transactions après une chute de 6,87 % de son indice, selon les médias turcs, avant de rouvrir à 10h30. Selon l’agence Reuters, les analystes estiment que l’arrestation soulève des inquiétudes quant aux réformes économiques en Turquie. «Les traders étaient devenus de plus en plus complaisants, et ce charme est maintenant rompu […], alors que les traders réévaluent les primes de risque politique de la Turquie, ce qui a déclenché la chute brutale de la livre ce matin», a déclaré Nick Rees, responsable de la recherche macroéconomique chez Monex Europe.
La France et l’Allemagne préoccupées
L’arrestation n’est pas restée sans réaction au sein de l’UE. La France a exprimé mercredi sa «profonde préoccupation», soulignant que cela pourrait avoir «des conséquences lourdes sur la démocratie turque». «Comme le Conseil de l’Union européenne l’a rappelé dans ses conclusions sur l’élargissement adoptées le 17 décembre dernier, il importe que la Turquie se conforme aux engagements internationaux qu’elle a librement souscrits, en particulier en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe», a réagi Christophe Lemoine, le porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
Même inquiétude de l’autre côté du Rhin, Berlin estimant que l’interpellation est «un grave revers pour la démocratie» dans ce pays, a réagi mercredi le ministère allemand des Affaires étrangères. Et de juger que l’arrestation «s’inscrit dans une série de pressions juridiques accrues contre le maire d’Istanbul».