Depuis le 6 juin, il est incarcéré dans les geôles du Togo et risque une lourde condamnation. Et depuis trois mois, les proches de Steeve Rouyar, Français originaire de Guadeloupe de 44 ans expatrié là-bas depuis 2024, savent toujours «très peu de choses sur la manière dont il a été arrêté et les motifs d’inculpation». Ils se disent aujourd’hui «très inquiets», dénoncent des zones d’ombre et appellent à sa libération.
Lors de cette journée de juin, une rare mobilisation secoue le pays d’Afrique de l’Ouest tenu d’une main de fer par Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis vingt ans. La jeunesse descend dans la rue pour protester contre l’arrestation de voix critiques, la hausse du prix de l’électricité et surtout la nouvelle Constitution, qui permet au dirigeant togolais de se maintenir au pouvoir sans limite de mandats. Trois jours plus tard, le parquet de Lomé annonce qu’un Français figure parmi la cinquantaine de «manifestants» arrêtés le 6 juin. Sans nouvelles de lui, la famille de Steeve Rouyar, apprend alors son arrestation par le biais des réseaux sociaux. «Ça nous a fait un gros choc», dit son frère Mickaël à l’AFP.
«Les conditions de détention sont extrêmement difficiles. Là, je me trouve démuni devant un Etat, devant une justice togolaise que je ne connais pas», expliquait son père, Dominique Rouyar, sur RFI en août dernier.
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Comment cet expert-comptable sans histoire s’est-il retrouvé mêlé aux soubresauts de la politique locale ? Selon une source ayant accès au dossier, Steeve Rouyar est poursuivi pour troubles à l’ordre public aggravés, faits qu’il a reconnus devant un juge d’instruction, pour lesquels il risque un à cinq ans d’emprisonnement. Mais aussi pour le chef d’«atteinte à la sûreté de l’Etat», ce qu’il nie, puni de vingt à trente ans d’emprisonnement. Il aurait notamment participé à la fabrication de tracts, avant d’être arrêté lors d’un rassemblement et détenu au Service central de recherche et d’investigation criminelle (Scric), affirme la même source.
Il voulait «s’impliquer» dans le mouvement
Pour sa part, son frère assure ne pas savoir «dans quelle mesure [Steeve] a pris part au mouvement», même s’«il devait avoir une sensibilité pour ce qui se passait» au Togo. Car l’expert-comptable est aussi un militant engagé. En Guadeloupe, d’abord, où il a démarré son activité il y a vingt ans, après avoir grandi en région parisienne. Il se présente aux législatives de 2017, 2022 et 2024, notamment sous la bannière du Nouveau Front populaire – et récolte chaque fois moins de 1 % des voix.
Sur son compte Facebook, dont le dernier post remonte au 6 juin, il fustige régulièrement la politique d’Emmanuel Macron, la vaccination anti-Covid, et affiche son soutien à la cause palestinienne. Ces derniers mois, il partage des publications à la gloire des juntes qui ont pris le pouvoir par la force au Mali et au Burkina Faso voisins, dont ils ont chassé la France. Il relaie aussi les messages d’influenceurs panafricanistes, pourfendeurs de l’ancienne puissance coloniale, avec laquelle le Togo continue d’entretenir des relations plutôt cordiales.
«Très amaigri»
Les Rouyar assurent que l’aîné d’une fratrie de cinq est allé au Togo pour ouvrir un nouveau cabinet d’expertise-comptable sur un marché africain porteur, avant de se heurter à des démarches administratives plus complexes que prévues. «Il était optimiste par rapport à la situation en Afrique, il voyait une libération des peuples et voulait s’y impliquer», affirme Astrid Michée, membre du comité pour sa libération.
Dominque Rouyar est «très inquiet» pour son fils, «détenu dans des conditions inhumaines et assis dans le noir toute la journée» avec 11 codétenus. «On ne lui donne pas à manger, on ne l’emmène pas se promener, il dort à même le sol», assure-t-il. Lors de leur dernier échange téléphonique fin août, le Guadeloupéen à la stature imposante (1,95 m, 90 kg) lui a confié être «très amaigri». «Je n’ai pas reconnu sa voix», dit Dominique Rouyar.
Une source gouvernementale togolaise a assuré à la presse que «l’Etat de droit est bien respecté», demandant de «laisser la justice faire son travail» en attendant la fin de l’instruction. Contacté par l’AFP, le Quai d’Orsay n’a pas commenté sa situation.