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Libération
Reportage

Une condamnation «importante pour le monde entier et surtout pour la Syrie» : à Paris, l’espoir de justice des familles de disparus

Trois hauts responsables des renseignements syriens ont été condamnés vendredi 24 mai à la réclusion à perpétuité par la justice française pour la mort de deux Franco-Syriens. A l’issue du procès, des dizaines de Syriens se sont réunis pour soutenir les plaignants et dénoncer les crimes du régime Al-Assad.
La famille Dabbagh avec ses avocates, le 21 mai à la cour d'assises de Paris. (Michel Euler/AP)
par Emma Larbi
publié le 25 mai 2024 à 8h43

Dans son costume ajusté, Ramez al-Sayed scrute attentivement, cigarette à la main, des dizaines de photos de Syriens disparus posées à même le sol sur la place du Châtelet, dans le Ier arrondissement de Paris. A une rue d’ici, dans une salle d’audience de la cour d’assises de Paris, les magistrats délibèrent ce vendredi 24 mai, dans ce procès historique intenté à trois hauts responsables du régime de Bachar al-Assad pour crime contre l’humanité et complicité de délit de guerre après la disparition forcée en 2013 de Mazzen et Patrick Dabbagh, un père et son fils franco-syriens, dont le régime déclara la mort en 2018. «J’ai suivi les quatre jours du procès, mais je suis sorti avant la fin aujourd’hui», lâche le réfugié syrien, désormais installé en Ile-de-France. Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud y ont finalement été condamnés en leur absence à la réclusion criminelle à perpétuité.

Sur la place bétonnée, plusieurs dizaines de personnes sont venues de toute l’Europe pour soutenir Obeida et Hanane Dabbagh, la famille des disparus, devenue symbole de ce combat judiciaire contre le régime, partie civile auprès de plusieurs organisations de défense des droits humains. «Aujourd’hui, c’était un jour important, pour la France, pour le monde entier et surtout pour la Syrie», explique François (1), réfugié en France depuis sept ans. «Même si je suis déçu que les accusés soient encore là-bas [en Syrie], à y vivre comme s’ils n’avaient rien commis», lâche-t-il amer. A 70 ans, Mariam Alhallak a, elle, fait la route depuis Berlin : «puisque maintenant je vis à l’étranger, c’était un devoir d’être là», souligne la cofondatrice de l’Association des familles de César, du nom du photographe légiste syrien, dont les 53 275 clichés ont permis d’identifier plusieurs milliers de personnes disparues dans les geôles du régime, parmi lesquels le fils de la septuagénaire. «Toute la journée d’hier, pendant la séance, mon fils était présent à travers sa photo pour prouver qu’il y a en effet un système de torture», explique-t-elle, dos aux clichés exposés.

«D’autres procès en France et ailleurs en Europe»

Alors que ce verdict est une première en France, «ça donne l’espoir qu’un jour ou l’autre, les autres criminels qui ont torturé ou tué nos biens aimés soient eux aussi traduits en justice», félicite Fadwa Mahmoud, l’une des fondatrices du mouvement Activists for Freedom, un collectif luttant pour obtenir la vérité sur les disparitions en Syrie. «Même symboliquement, même absents, je suis heureuse que des officiers qui martyrisent le peuple syrien soient au tribunal». «Désormais on sait qu’il y aura d’autres procès en France et ailleurs en Europe, même si cela prendra du temps, les Syriens et les Syriennes sont prêts», assure Clémence Bectarte, avocate de plusieurs parties civiles dans le dossier, dont la famille Dabbagh.

Au-delà d’accompagner l’audience en elle-même, la démonstration de solidarité est avant tout l’occasion pour les proches de victimes de rappeler le mécanisme systémique des disparitions forcées. «En se réunissant, on voit bien que, tous ici, c’est toujours la même histoire», explique Tia, 27 ans. Encadrées et posées à même le sol, trônent les photos de son père et de son frère, dont elle reste sans nouvelle depuis un soir de 2012, «quand des militaires les ont enlevés devant ma mère et moi», détaille-t-elle. «J’avais 16 ans et pendant des années je suis restée attendre de leurs nouvelles dans notre maison». Comme elle, chacun montre du doigt à qui veut savoir le cliché d’un membre absent : un père, un mari ou un enfant. Tous font partis des 112 713 personnes disparues dans l’opaque appareil répressif d’al-Assad, depuis mars 2011 et le début de la révolution syrienne, selon le Syrian Network for Human Rights (SNHR). «Avec les photos, nous voulons montrer que les milliers de personnes disparues ne sont pas que des nombres», explique Ahmad Helmi, réfugié politique et militant aux Pays-Bas.

Dans le square parisien, familles et militants ont un objectif : continuer d’humaniser les victimes de Damas et dénoncer les exactions de la dictature syrienne. «Il faut faire comprendre à tous l’énorme malheur que connaît encore la Syrie», explique Randa (1), exilée, en observant passants et touristes. «Mon mari a passé plusieurs années en prison, pour mes enfants encore en Syrie, pour que la vie soit meilleure, le régime doit changer». A l’heure où le renvoi de réfugiés et exilés syriens se fait une demande de plus en plus pressante de la part de plusieurs Etats, comme Beyrouth ou Ankara, «la Syrie n’est toujours pas un pays sûr», rappelle, inlassablement, Mrzen Darwish, avocat et cofondateur du Centre syrien pour les médias et la liberté d’expression (Syrian Center for Media and Freedom of Expression).

(1) Le prénom a été changé.