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Libération
Appel à l’aide

Une poétesse apatride du Koweït interdite d’entrée dans son pays

Issue de la communauté «Bidoun», des habitants du Koweït non reconnus comme citoyens de l’émirat, Mona Kareem n’a pas été autorisée mardi à rentrer dans sa famille après son retour des Etats-Unis, où la militante vit désormais.
Photo tweetée par Mona Kareem depuis l'aéroport du Koweït, mardi. (Mona Kareem)
publié le 7 janvier 2023 à 10h51

«Je me trouve à l’aéroport de Koweït pour voir ma famille mais je vais être expulsée.» Ce message de détresse et d’appel à l’aide posté en arabe et en anglais, mardi soir, par Mona Kareem sur Twitter a suscité émoi et solidarité sur les réseaux sociaux. Il n’a pas empêché toutefois l’expulsion de la jeune poétesse et traductrice de son pays natal vers les Etats-Unis. Mais il a peut-être jeté quelque lumière sur le sort méconnu et aberrant d’une communauté d’apatrides vivant dans la plus discrète des riches pétromonarchies du Golfe.

Mona Kareem, 35 ans, est en effet une «Bidoun» («sans nationalité»), comme 100 000 autres habitants du Koweït non reconnus comme citoyens de l’émirat. Issus de tribus nomades dans le désert, ils n’avaient pas été enregistrés comme Koweïtiens par les autorités de l’Etat lors de son indépendance en 1961. Soixante ans après, on continue de leur refuser la nationalité de leur pays de résidence qu’ils ne peuvent pas quitter puisqu’ils n’en ont aucune autre. Cette absence de statut juridique prive les Bidoun de la plupart des droits des citoyens koweïtiens, y compris dans l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi dans l’administration. Certains Bidoun, moins discriminés que d’autres, parviennent à obtenir des papiers pour s’inscrire dans les écoles privées et accéder à des emplois, dans le privé également.

«La littérature, une patrie alternative»

Issue de cette minorité apatride, «maltraitée de génération en génération», comme elle l’écrit, Mona Kareem avait réussi à échapper au sort des siens grâce à sa volonté et son talent. Fille d’un écrivain érudit, elle passait dès son enfance des heures dans le bureau-bibliothèque de son père à lire des livres. «La littérature a été mon échappatoire face à la réalité. Une patrie alternative», a écrit celle qui, à 14 ans, a publié son premier recueil de poèmes. Remarquée pendant sa scolarité, elle obtient une bourse d’une fondation privée pour entamer des études de lettres à l’université américaine de Koweït, puis pour se rendre aux Etats-Unis où elle poursuit sa formation en littérature comparée.

Un document temporaire permet à Mona Kareem de faire le voyage mais il n’a pas été renouvelé par les autorités koweïtiennes. A 25 ans, elle reste travailler à Chicago, devient bilingue, traduit en anglais plusieurs poètes koweïtiens et arabes et publie des articles, des études et des poèmes en arabe et en anglais. Elle tient un blog dénonçant les abus contre les Bidoun au Koweït et devient la porte-parole de sa communauté dénigrée. Au bout de dix ans, en 2022, elle obtient un passeport américain qui lui permet de voyager et de se rendre dans son pays natal pour revoir sa famille.

«Solidarité avec Mona Kareem»

Elle était revenue en juin au Koweït pour la première fois. Les autorités l’avaient alors laissée entrer sur le territoire pour une durée d’un mois, après avoir signé un document l’engageant à rester discrète et à ne pas parler de politique. Un engagement que la militante n’a apparemment pas tenu après son retour aux Etats-Unis, et qui aurait motivé la décision des autorités koweïtiennes de lui barrer la route en ce début d’année, pour des considérations «de sécurité».

Aussitôt après son alerte sur Twitter depuis l’aéroport de Koweït, les hashtags «non à l’expulsion de Mona Kareem» et «solidarité avec Mona Kareem» ont enflammé les réseaux sociaux, au Koweït et ailleurs. Mais trop tard et sans effet. «Je ressens de la tristesse et je lutte contre les larmes. J’ai été séparée de ma famille pendant dix ans et l’idée que j’en sois privée pendant le reste de ma vie me hante», écrit la militante, tout en remerciant «ses amis» pour leur soutien.