Arrivé lundi soir dans la capitale mongole pour une visite officielle, Vladimir Poutine n’a pas été inquiété. Pourtant, en tant que pays membre de la Cour Pénale internationale (CPI), la Mongolie était censée procéder à l’arrestation du chef de l’Etat russe, visé par un mandat d’arrêt. Depuis mars 2023, il est en effet accusé par la juridiction internationale d’être responsable du crime de guerre de déportation illégale d’enfants. Pourquoi a-t-il malgré tout pris le risque de se rendre à Oulan-Bator ? Libé vous explique.
Poutine en Mongolie : pourquoi est-ce une visite importante ?
Lundi 2 septembre, Vladimir Poutine a posé pied sur le tarmac de l’aéroport d’Oulan-Bator, la capitale mongole, dans le cadre d’une visite officielle. Après avoir été accueilli par son homologue Ukhnaa Khurelsukh, ce premier déplacement depuis 2019 dans ce pays riche en ressources naturelles se poursuit aussi ce mercredi. Les deux dirigeants ont prévu des entretiens et «discuteront des perspectives de développement des relations russo-mongoles», selon le Kremlin. «Un certain nombre de documents bilatéraux» seront signés à cette occasion.
En outre, il s’agit du premier déplacement du président russe sur le sol d’un Etat signataire du Statut de Rome – traité international qui a créé la Cour pénale internationale en 1998 – depuis l’émission d’un mandat d’arrêt à son encontre. En mars 2023, la juridiction basée à la Haye l’avait jugé responsable de crimes de guerre en Ukraine pour la déportation d’enfants de zones occupées d’Ukraine vers la Russie. Le Kremlin a néanmoins toujours fermement rejeté les accusations de la CPI à l’encontre de Poutine.
La Mongolie est-elle tenue de procéder à son arrestation ?
Puisque la Mongolie a signé le Statut de Rome en 2000, avant de le ratifier en 2002, elle est aussi censée, comme tout autre Etat membre – au nombre de 124 –, «arrêter toute personne sur son sol qui ferait l’objet d’un mandat d’arrêt délivré CPI», explique Mathilde Philip, professeur de droit à l’université Lyon 3, spécialiste du droit international. Ce qui est le cas de Vladimir Poutine. Pour cette raison, le dirigeant russe avait par ailleurs décidé de faire l’impasse sur le sommet des Brics en Afrique du Sud en août 2023, puis sur celui du G20 en Inde la même année.
«La Mongolie s’est contrainte par elle-même, volontairement, à respecter le droit international et ses obligations», ajoute celle qui travaille à la création d’un tribunal spécial pour juger le crime d’agression russe contre l’Ukraine. Et comme la CPI n’est dotée d’aucune force de police propre, «charge normalement aux autorités du pays qui reçoit sur son sol la personne recherchée par la CPI de procéder à son arrestation et à son transfert». En amont de la visite officielle de Vladimir Poutine à Oulan-Bator, la Cour avait également rappelé que ses pays membres ont «l’obligation» d’interpeller les individus visés par un mandat d’arrêt.
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Mais, en dépit de cette obligation qui incombe, en théorie, à la Mongolie, le Kremlin avait assuré la semaine dernière n’avoir «pas d’inquiétude» au sujet d’une éventuelle arrestation du président russe. «Nous avons un excellent dialogue avec nos amis mongols. Bien entendu, tous les aspects de la visite ont été soigneusement préparés», avait ajouté le porte-parole de la présidence russe Dmitri Peskov.
Il existerait seulement «une chance infime» pour que Poutine soit arrêté, explique Mathilde Philip, tout en jugeant ce cas de figure très peu probable. «Il faudrait qu’un juge suffisamment indépendant demande l’exécution du mandat d’arrêt par les autorités du pays. Mais, en Mongolie, le manque d’indépendance judiciaire du pays est régulièrement dénoncé par l’ONU», relève-t-elle.
Pourquoi la Mongolie n’a pas inquiété Poutine ?
La Mongolie, qui n’a pas condamné l’invasion russe en Ukraine et s’est abstenue lors des votes sur ce conflit aux Nations unies, «a tout fait pour ne pas se conformer à l’arrestation et au transfert de Vladimir Poutine, car exécuter un mandat d’arrêt repose uniquement sur la bonne coopération des Etats», assure Elise Le Gall, avocate au Barreau de Paris et auprès de la Cour pénale internationale. «Pour la Mongolie, il s’agit là d’une possibilité de nouer des alliances avec Moscou. Le pays a un intérêt géostratégique derrière cette décision, une volonté de se placer sous la coupe de Moscou, et de montrer que c’est un pays non aligné», abonde Mathilde Philip.
En amont du voyage, le dirigeant russe avait alors vanté les «projets économiques et industriels prometteurs» entre les deux pays, dans un entretien avec le journal mongol Unuudur. Parmi ces projets : la construction d’un gazoduc trans-Mongolie reliant la Chine et la Russie, a-t-il cité. «Je ne suis pas sûre que cela soit un bon calcul politique, car un pays qui ne respecte pas ses obligations internationales risque de perdre la confiance des investisseurs, et surtout de perdre en crédibilité au niveau international», fait également savoir la professeur de droit.
Des sanctions à l’égard de la Mongolie sont-elles envisageables ?
«Pour l’instant, la CPI n’a pas prononcé de sanction à proprement parler pour les pays ne respectant par le Statut de Rome», explique Elise Le Gall. Quand un pays membre ne remplit pas ses obligations vis-à-vis de la CPI, cette dernière peut en effet saisir l’Assemblée des États membres qui se réunit une fois par an. Mais les éventuelles sanctions se sont essentiellement limitées à une remontrance verbale, comme ce fut le cas pour l’ex-dictateur soudanais Omar el-Béchir, en visite en Afrique du Sud en 2015, rappelle l’avocate.
Est-ce un aveu de faiblesse pour la CPI ?
Depuis un an et demi, Poutine a pris soin d’éviter les voyages à l’étranger. «Il se rend seulement dans des Etats qui ne sont pas signataires de la CPI. Ce geste démontre de sa part une réelle crainte de cette juridiction et une peur d’être arrêté. Il a réduit sa zone de déplacement», avance Elise Le Gall. Et de poursuivre : «Une défaillance sur un dossier ne veut pas dire que la CPI est mise à mal. Elle n’est pas encore satisfaisante, mais elle est encore en construction».
Pour Mathilde Philip, la visite de Vladimir Poutine en Mongolie ne relève pas non plus d’un pied de nez à la CPI : «Il ne s’agit pas d’une démonstration de sa force, mais plutôt de sa faiblesse : le dirigeant russe se rend seulement dans un petit pays qui peut se soumettre à la Russie, et plus dans des États de grande influence».