A 26 ans, Carolina Shiino est de nationalité japonaise et parle parfaitement le japonais. Pourtant, son titre de Miss Japon a été le sujet le plus discuté de la semaine sur les réseaux sociaux de l’archipel. Carolina Shiino est en effet la première reine de beauté dont aucun parent n’est japonais. Née en Ukraine, elle a découvert ce pays à 5 ans, après que sa mère eut épousé un Japonais, dont elle a pris le nom. Depuis 2022, la jeune mannequin est citoyenne japonaise, elle remplissait donc toutes les conditions pour postuler au diadème de miss : être célibataire, entre 18 et 26 ans, et avoir la citoyenneté du pays.
Lundi 22 janvier à Tokyo, après la proclamation du résultat, Carolina Shiino avouait qu’«être acceptée comme Japonaise [avait] constitué un défi» pour elle. Et exprimé sa gratitude au jury qui, par son choix, l’a reconnue pleinement comme intégrée à la communauté nationale. Dès le lendemain cependant, certains commentaires lui reprochaient d’être «éloignée de ce que doit être une Miss Japon». «Désigner comme plus belle femme du Japon une personne de type européen est une erreur. Triste jour pour le pays», s’est plaint un internaute. D’autres avis, à l’opposé, ont salué son couronnement comme une avancée et le symbole d’un pays ouvert à la diversité.
Deux métisses couronnées
Une polémique semblable avait surgi en 2015, quand Ariana Miyamoto fut la première Miss Japon métisse, née d’une mère japonaise et d’un père afro-américain. Un débat s’était ouvert sur la place dans la société des «hafu», le nom (tiré de l’anglais half) donné aux personnes étant pour moitié d’origine japonaise. L’année suivante, une autre hafu, la nippo-bengalie Priyanka Yoshikawa, devenait Miss Japon. Dans leur sillage, c’est la joueuse de tennis Naomi Osaka, Haïtienne par son père, qui a défendu avec le plus de vigueur la cause des hafu.
Récit
Carolin Shiino n’est pas une hafu, puisque née de deux parents ukrainiens. Certains commentaires évoquaient à ce sujet une décision politique : «Si elle était née russe elle n’aurait eu aucune chance», a exprimé un autre internaute. L’intéressée s’est défendue en affirmant : «Si je n’ai pas le type physique japonais, mon esprit l’est devenu par mon éducation.» L’organisatrice du concours, Ai Wada, a de son côté souligné que la gagnante s’exprimait, à l’oral comme à l’écrit, dans «une langue pleine d’élégance et de courtoisie».
«Une définition monoethnique de la nation»
Les tendances xénophobes du Japon ont souvent été étudiées. Dans une société «qui promeut une définition monoethnique de sa nation» (1), les discriminations touchent en particulier les descendants de Taïwanais et de Coréens, originaires d’anciennes colonies et parfois issus d’une immigration forcée. Les dérapages racistes sont en outre courants dans le discours politique. En 1986, le Premier ministre conservateur Yasuhiro Nakasone avait affirmé : «Les Etats-Unis étant un pays multiethnique, il est difficile d’assurer un bon niveau d’éducation. […] Le Japon étant ethniquement homogène, l’éducation y est menée avec succès.» Ses propos avaient fait scandale aux Etats-Unis mais pas au Japon. En 2020, la pandémie avait été le prétexte de violentes réactions antichinoises.
Il faudra attendre la fin de l’année pour savoir si Miss Japon fera bonne figure au concours de Miss Univers. L’édition 2024 aura lieu au Mexique, après le rachat de 50 % des parts de la société organisatrice, détenue par la femme d’affaires transgenre thaïlandaise Jakapong Jakrajutatip, à un groupe mexicain. Auparavant, le concours a longtemps été la propriété de Donald Trump. Lors de la dernière édition, en novembre au Salvador, c’est la candidate nicaraguayenne Sheynnis Palacios qui avait été couronnée.
(1) «Les Caractéristiques de la xénophobie au Japon» par Myungsoo Kim, dans Hommes et Migrations nº1302 (2013).