Un sentiment de déjà-vu. Opposé en 2016 à la loi El Khomri, le FN se dresse en 2017 contre les ordonnances réformant le droit du travail. Mais aujourd'hui comme hier, le parti d'extrême droite peine à se faire entendre, éclipsé par la contestation de gauche, embarrassé par ses contradictions en matière économique, absorbé par ses querelles internes. «Il ne se passe rien du tout, se lamente un jeune frontiste. Le jour des annonces, La France insoumise était partout, faisait des directs sur Facebook, c'était génial. Mais ici… rien. Après, c'est vrai que le sujet est politiquement compliqué pour nous.»
Flottement
Comme l'an passé, aucune chance de croiser les dirigeants du FN dans les manifestations à venir - il est vrai que l'accueil y serait plutôt frais. «On ne vas pas aller aux côtés de l'extrême gauche, qui est très largement responsable de la situation précaire des salariés dans notre pays», a expliqué fin août le secrétaire général du parti, Nicolas Bay. Cette solution écartée, restent un tract et un communiqué condamnant une «loi travail XXL» dictée par «Bruxelles», une poignée d'interventions médiatiques (mais pas, pour l'heure, d'une Marine Le Pen aux abonnés absents) et enfin la maigre tribune parlementaire des huit députés et deux sénateurs FN-RBM. Compliqué dans ces conditions d'incarner «l'opposition naturelle» au macronisme : rôle revendiqué par la dirigeante frontiste depuis son accession au second tour de la présidentielle, mais que lui dispute avec un certain succès La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.
Comme l'an passé encore, l'esprit de cette réforme du droit du travail pose problème au parti. La dénonciation d'une loi taillée pour les grands groupes se heurte à la satisfaction affichée par les principales organisations de PME, TPE et artisans après la publication des ordonnances ainsi que des mesures pour les indépendants - dont la suppression de leur très critiqué régime social. Surtout, passé la défense d'un vague «patriotisme économique», le FN semble flotter entre ligne libérale et inspiration sociale. Porte-voix de la tendance droitière depuis le départ de Marion Maréchal-Le Pen, Nicolas Bay peut ainsi réclamer un supplément de simplification «quand on voit les milliers de pages qui composent le code du travail» et se plaindre de textes «donnant du poids» à des syndicats «jamais satisfaits de leur sort».
Rétropédalage
De son côté, l'association «Les Patriotes», écurie personnelle de Florian Philippot, s'indigne d'une réforme «qui s'attaque aux protections que des décennies de combats sociaux acharnés avaient réussi à mettre en place pour les travailleurs». Le vice-président frontiste a lui-même salué l'appel du forain Marcel Campion à «bloquer» plusieurs grandes villes françaises le 12 septembre - un enthousiasme que ne partageront pas tous ses camarades. En 2016 déjà, des propositions d'amendements déposées par les parlementaires frontistes avaient rapidement été retirées par leurs auteurs. Un rétropédalage exigé par la direction frontiste, mécontente de contributions jugées trop libérales…
Moins claire que jamais
Ces ambivalences découlent de la stratégie attrape-tout suivie depuis 2011 par Marine Le Pen. Faute d'alliances, celle-ci devait lui permettre de constituer, à elle seule, une offre majoritaire. Un espoir dont pas grand-chose ne subsiste après le large échec de la dernière présidentielle. En l'absence d'arbitrage clair de la part de Marine Le Pen, c'est à la cacophonie, voire à la confrontation qu'ont tourné ces lignes d'abord pensées comme complémentaires. Qu'il s'agisse des questions économiques, sociétales ou encore de l'euro, sur lequel la position frontiste est aujourd'hui moins claire que jamais. «Elle se posera dans les années qui viennent, ce n'est pas la priorité», a fait savoir jeudi Nicolas Bay, à rebours du programme longtemps défendu par Marine Le Pen.