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Présidentielle

Le Pen rêve d’ouvrir ses frontières

Même si les résultats du FN n’ont jamais été aussi hauts, Marine Le Pen se trouve piégée dans le rôle de challenger. Son ambition : rassembler un électorat aussi disparate que celui qui avait dit non à la Constitution européenne.
A Hénin-Beaumont, dimanche. (Photo Laurent Troude pour Libération)
publié le 24 avril 2017 à 20h06

Les «jours d'après» se suivent mais ne se ressemblent pas. Le 22 avril 2002, au lendemain de l'inattendue accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, les manifestations anti-FN rassemblaient près de 150 000 personnes à travers le pays. Elles ne cesseront de grossir durant l'entre-deux-tours, transformant celui-ci en chemin de croix pour le candidat frontiste. Rien de tel quinze ans plus tard, après la qualification de sa fille, qui a annoncé, lundi soir, se mettre «en congé» de la présidence du FN afin de «rassembler tous les français». Effet de la normalisation du parti, de la résignation de ses adversaires ? Ou d'un scénario prévu de si longue date qu'il a perdu de son explosivité ? Marine Le Pen parviendra au second tour, pour y subir une large défaite : cet imprudent pari a fait son chemin. L'intéressée a quinze jours pour le déjouer. Difficile mais plus inimaginable.

Ce résultat est-il satisfaisant pour Marine Le Pen ?

Rapporté à l'histoire du Front national, il devrait l'être. Le score de dimanche est un record pour le parti dans une présidentielle, qu'on le considère en pourcentage (21,4 %, contre 17,9 % en 2012) ou en nombre de voix (7,6 millions, contre 6,4 millions en 2012). Ces chiffres entretiennent la légende d'un parti en perpétuelle ascension, et dont la vocation naturelle serait à terme d'accéder au pouvoir. Mais ce sont précisément les hautes ambitions de la candidate qui font de ce score une demi-réussite. Se targuant avant le vote de «bien connaître [ses] électeurs», Marine Le Pen promettait d'être «en tête du premier tour, parce qu'il y a une incroyable mobilisation, une incroyable dynamique». Dimanche soir, c'est pourtant en position de challenger qu'elle est sortie du premier tour, avec un score bien inférieur à sa moyenne de long terme dans les sondages. «Une invasion de migrants, un Bataclan, un quinquennat catastrophique de Hollande et on fait 22 %, à peine 4 points de plus qu'en 2002, soupire un frontiste. A ce rythme, mes petits-enfants verront peut-être la victoire.» Pour un élu, «ce sera dur d'enclencher une dynamique de second tour. La fin de campagne n'était pas bonne du tout. Il faudrait surtout ne pas parler d'UE et d'euro», des thèmes centraux du programme du FN mais toujours impopulaires. «On est challengers, devait concéder Florian Philippot lui-même sur RMC-BFM TV lundi matin. On a une dizaine de points à rattraper entre les deux tours. Mais c'est tout à fait faisable en deux semaines.»

Dispose-t-elle de réserves de voix?

Ce fut une constante de la campagne de premier tour : dans les enquêtes d’opinion, l’électorat frontiste apparaissait comme particulièrement sûr de son choix. C’est sur ce socle de convaincus que Marine Le Pen a construit son succès. Mais depuis lundi, c’est un tout autre exercice qui s’impose à elle. Pour avoir une chance de l’emporter, la présidente du FN doit rallier à elle de nombreux électeurs ayant d’abord choisi un autre candidat. Dans l’hypothèse d’une participation de 80 % au second tour, le seuil des 50 % correspond à 18,7 millions d’électeurs, soit 11 millions de plus que ceux de Le Pen au premier tour.

Cette épreuve est souvent fatale au FN : sans alliés ni culture du compromis, le parti peine à progresser suffisamment d’un tour à l’autre. Ce fut le cas aux régionales de 2015, où il n’a gagné aucune région en dépit de scores parfois supérieurs à 40 % au premier tour. Les marges de croissance existent pourtant. Qu’ils portent sur les idées du parti, son image ou sa présidente, les sondages des derniers mois tournent autour du même ordre de grandeur : même sans voter pour le FN, un bon tiers de l’électorat est franchement ouvert à celui-ci. Lundi, une enquête OpinionWay accordait même à Marine Le Pen 39 % des voix contre Emmanuel Macron. Nettement plus que les 21,4 % enregistrés dimanche, mais insuffisant pour rêver d’une victoire.

Où se situent ces réserves ?

Pourquoi vote-t-on Marine Le Pen ? L’institut Ipsos a posé dimanche la question à ses électeurs. Leurs réponses dessinent un triptyque familier : ils sont 69 % à mentionner l’immigration, 46 % le terrorisme, 42 % l’insécurité. Ce tableau rapproche l’électorat frontiste de celui de François Fillon, bien plus que de celui de Jean-Luc Mélenchon. Chez ce dernier, la lutte contre les inégalités est mentionnée par 42 % des répondants, contre seulement 10 % chez les électeurs de Marine Le Pen. Les affinités droitières du FN se retrouvent aussi dans les reports de voix déclarés. Selon Harris, 23 % des électeurs de François Fillon pourraient se tourner vers Le Pen, contre seulement 12 % des électeurs de Mélenchon. L’écart est encore plus grand chez Ipsos, où ces chiffres sont respectivement de 33 % contre 9 %. Dans les deux cas, toutefois, nombre d’électeurs se déclarent partisans de l’abstention, surtout chez Mélenchon.

Quelle sera la stratégie de Le Pen ?

Remplir l’espace laissé vide par François Fillon : cet objectif impliquerait que Marine Le Pen assouplisse son discours sur les questions économiques et européennes, qui représentent aujourd’hui le principal point de clivage entre le FN et la droite «classique». Tel ne semble pas être l’intention de la candidate. Selon les premières déclarations de ses porte-parole, lundi, celle-ci devrait s’en tenir à l’habituelle ligne «ni droite ni gauche» et tenter de convaincre aussi bien les électeurs fillonistes que ceux de Mélenchon.

Souvent attribuée au vice-président Florian Philippot, mais partagée par Marine Le Pen, cette stratégie prétend substituer au clivage droite-gauche un duel entre «mondialistes» et «patriotes» - le Front national incarnant presque seul le second camp. L'idée s'appuie notamment sur le résultat du référendum de 2005, où 55 % des électeurs s'étaient prononcés contre la Constitution européenne. C'est cette majorité de circonstance, attelage de la gauche antilibérale et de la droite souverainiste, que le FN rêve aujourd'hui de ressusciter à son profit. D'où l'insistance de Marine Le Pen à présenter le second tour à venir comme un «référendum sur la mondialisation sauvage», dont Macron serait le meilleur représentant.

«C'est une stratégie ambitieuse qui peut théoriquement rapporter beaucoup, juge le politologue Joël Gombin. Mais son présupposé est si radical qu'elle sera difficile à faire aboutir : on constate dans les sondages que les électeurs de Mélenchon devraient être peu nombreux à sauter le pas. Une autre stratégie consisterait à assumer son identité de droite, sur un créneau poujadiste. C'est l'idée de Marion Maréchal-Le Pen, qu'on peut juger plus pragmatique.» L'entre-deux-tours représentera donc un crash-test pour la «ligne Philippot», qui doit assurer à Marine Le Pen, sinon la victoire, du moins une défaite honorable. A défaut, c'est une pénible controverse interne qui pourrait s'ajouter à la défaite.