Aujourd'hui, 1er mai, c'était jour d'hommage à Jeanne d'Arc pour Jean-Marie Le Pen. Comme chaque 1er mai depuis des lustres, le fondateur du FN a donc fait sa petite sortie annuelle sous la statue de la Pucelle d'Orléans, à Paris, ainsi qu'un discours aux accents alarmistes et xénophobes.
10 heures. Quelques personnes sont venues écouter le «Vieux» sur sa chaise, disons dans les 200, beaucoup de journalistes et de curieux. Il y a des endimanchés à mèche avec un brin de muguet accroché au veston ; des types avec la panoplie complète Lonsdale Fred Perry béret bleu, d'autres avec des rangers, des crânes rasés à bombers noir, vestes militaires ; des pardessus beiges hyperlongs, vestes en cuir années 30. Des drapeaux, bien sûr, plein : français et surtout «parti de la France», ainsi qu'un lion des Flandres qu'un gars a ramené de Lille, celui de la Dissidence française, un groupuscule fasciste. Il y a des gens du Front libéré, le mini-parti créé par Philippe Chevrier après son exclusion du FN ; des militants du Parti de la France de Carl Lang, Alain Escada de Civitas. Bref, l'extrême droite radicale dans ce qu'elle fait de mieux.
Tout ce beau monde guette l'arrivée de Le Pen place du Palais-Royal. Lequel débarque peu après en Renault Safrane, bien escorté, sous les cris de «Jean-Marie, Jean-Marie». L'homme, 88 ans, marche en tête du cortège rue de Rivoli, jusqu'à la fameuse statue équestre. Difficile de l'approcher vu le nombre de caméras, un grand mec avec une longue cape bleue tente quand même de lui adresser quelques mots : «Macron est un antéchrist, il faut le dénoncer !» lance-t-il, puis «L'islam, c'est le satanisme» et aussi «Les policiers défendent les musulmans». Pendant ce temps-là, un peu plus loin, des néonazis tendent leur bras au ciel et braillent leurs éternels refrains «Bleu blanc rouge, la France aux Français», «L'islam hors d'Europe», «Les nôtres avant les autres», «Ni burqa ni charia».
Antoine, 20 ans, veste en laine grise, nous propose de l'interviewer. On refuse. Là une femme nous tend un papier orange marqué en lettres majuscules «assez des mensonges de la presse, devenons tous journalistes», avec un lien vers un blogspot de «réinformation» bien complotiste sur les bords et bien raciste au milieu.
«En passant par la Lorraine»
11 heures. La petite foule s'est amassée devant la statue de Jeanne d'Arc où on a installé un pupitre. Deux gamins vendent du muguet. «C'est du muguet FN ?», leur demande-t-on. Réponse : «Non pas du tout, on profite juste du monde». L'un des deux tente une vanne : «Et puis ici au moins on n'a pas la concurrence des Pakistanais.» Sourire gêné. Deux Allemands passent par-là : «C'est pour quoi le rassemblement ?» Jean-Marie Le Pen. «Viens chéri, on s'en va.»
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On nous passe de la musique militaire, mais difficile de savoir laquelle. Un homme nous renseigne : «Là c'est peut-être "en passant par la Lorraine".» Un autre : «Non, c'est la musique des Africains.» C'est Francis, 84 ans «dans un mois», qui nous parle. Moustache blanche, chapeau et lunettes, il a eu son moment de gloire il y a quelques années grâce à une séquence du Petit journal où on le voyait déblatérer des horreurs à une manif de Civitas. Il ne faut pas longtemps pour qu'il nous ressorte son couplet contre le Mariage pour tous : «Le mariage pour tous, c'est quoi ? Des hommes qui s'enculent. C'est contre-nature. C'est une anomalie. En bon Français, un rectum, c'est pas un vagin. C'est pour éliminer les matières fécales. Ce sont des organes qui sont faits pour ça. On écoute avec les oreilles, on n'écoute pas avec son nez.»
On tend l'oreille, du coup, car un peu plus loin, un type s'énerve. Il est en train de discuter avec deux jeunes, qui ne partagent visiblement pas son délire. Pull bleu flashy, sacs à dos à la mode et Converse, elles détonnent un peu dans le paysage. Le gars leur dit : «Moi j'ai rien contre les immigrés. Mais quand je croise un étranger dans son pays et qu'il me dit "J'aime pas les étrangers", je lui dis : "Bah t'as raison, vu que t'es chez toi".»
«Snap fachow»
On attrape pull bleu flashy et miss Converse. La première, Yael, petite rouquine, la deuxième, Margaux, un peu plus grande, brune. Elles ont 18 et 19 ans et sont étudiantes en droit et en cinéma à la Sorbonne, ont voté Hamon et Macron (vote utile) au premier tour. «On est venues pour se documenter avant la manif contre le FN.» (Celle qui part un peu plus tard de République). Elles regardent autour d'elles : «Si y a que ça pour le FN, ça va ! On va gagner !» L'une des deux veut se faire un «snap fachow», mais chut, parce que Jean-Marie est en train de parler, et s'égosille, parce que ses micros déconnent.
Le patriarche qualifie Jeanne d'Arc de «plus grand homme de l'histoire» et cite un dialogue qu'elle aurait eu avec l'Eglise lors de son procès : «– Jeanne, le Seigneur nous fait devoir d'aimer même nos ennemis. Aimez-vous les Anglais ? – Oui, chez eux.» On entend des bravos.
Le Pen déroule, parle de «pompe» et de «débit» pour évoquer l'immigration, embraye sur «les milliers de mosquées», les «boucheries hallal», martèle que «la charia exerce une pression constante» et que «l'islamisation est en cours». Un étranger, pour lui : «S'il trouve un travail, il prend la place d'un national. S'il n'en trouve pas, ce qui est souvent le cas, il devient un assisté […] Ajoutez à cela le terrorisme.» Le fondateur et président d'honneur du Front national lâche les mots «communautarisme», «zones de non-droit», «remplacement» et annonce que «la France est dans une situation d'extrême péril, peut-être imminent». «Je ne suis pas xénophobe, je suis francophile» ose-t-il.
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Commentaire de Margaux, un peu sonnée par ce qu'elle vient d'entendre : «Je pensais pas qu'il était autant raciste.» Le Pen continue : «rétablissement de la peine de mort» (dans le public : «ouais») ; «abrogation des lois mémorielles» (dans le public : «ouais») ; «sortie de l'Otan [Le Pen prononce «Otane», ndlr]» (dans le public : «ouais» + rires) ; «débat sur le port des armes pour les citoyens» (dans le public : «ouais») ; «réouverture des critères d'accès à l'IVG» (toujours «ouais») ; «abrogation de la loi Taubira» («hourras»).
Vient enfin le moment qu'ils attendaient tous, Le Pen père appelle à voter pour Le Pen fille, qualifiée comme lui quinze ans plus tôt, pour le second tour de la présidentielle. «Il y a un choix patriotique, celui d'une mère de famille engagée pour son pays depuis des années. La France va la choisir comme chef de l'Etat. Ce n'est pas Jeanne d'Arc, mais elle accepte la même mission. Vive Jeanne, vive Marine, vive La France» lance-t-il, pas rancunier après que cette dernière a évoqué sa rupture politique avec lui la veille sur France 2. Début d'une Marseillaise. Yael se tourne vers nous : «Il est malade. Ils sont malades. Tous. Ils sont pâles. Ils sont encore dans le Moyen-Âge.»