Travestir en succès les demi-victoires ou les franches défaites : le Front national est passé maître dans cet art difficile. Dimanche soir, Marine Le Pen et les cadres frontistes se congratulaient donc de l’issue des élections législatives, qui ont vu huit des leurs emporter un siège à l’Assemblée nationale. Satisfaisant si on le rapporte à l’histoire du parti, ce résultat est pourtant très inférieur à ses ambitions initiales. Mais il aura d’importantes conséquences sur la vie interne du FN : sans éteindre les doutes de l’appareil, il sécurise la position de Marine Le Pen, confirmée comme seule arbitre de la discussion à venir.
L’histoire bégaie : en 2007, la fille de Jean-Marie Le Pen était très contestée après avoir dirigé la campagne présidentielle de son père. Un mois plus tard, clouant le bec de ses critiques, elle était la seule frontiste à parvenir au second tour des législatives – déjà dans le Pas-de-Calais. Dimanche, en devenant députée et en étant la mieux élue du parti, Marine Le Pen a récupéré un peu du crédit perdu lors de son débat d’entre-deux-tours contre Emmanuel Macron.
Surtout, la présidente du Front national est accompagnée presque exclusivement de fidèles, voire d’obligés : son compagnon, Louis Aliot, élu dans les Pyrénées-Orientales ; ses conseillers Bruno Bilde (Pas-de-Calais) et Sébastien Chenu (Nord) ; les marinistes Gilbert Collard (Gard), Ludovic Pajot et José Evrard (Pas-de-Calais). La plupart élus dans le fief nordiste de Marine Le Pen, un terrain qu’elle cultive de longue date. De quoi offrir un second souffle au marinisme, précisément au moment où celui-ci semblait toucher ses premières limites.
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«Arrêté en plein vol»
A l'inverse, deux «familles» frontistes se voient mises en échec. Le clan Philippot, d'abord, dont tous les représentants ont été battus : soit au second tour, comme le vice-président lui-même, ou son alliée Sophie Montel ; soit dès le premier, comme l'acteur Franck de Lapersonne. Avec d'autres, le trio avait récemment lancé les Patriotes, une association censée peser sur la refondation du FN : initiative dont beaucoup au parti, y compris Marine Le Pen, avaient critiqué le tempo. Cet échec groupé expose les philipppotistes à la contre-attaque de leurs adversaires, exaspérés par la «ligne Philippot» autant que par les pratiques jugées «sectaires» de l'eurodéputé. «FN : 8 élus. Patriotes : 0», a nargué lundi sur Twitter son collègue Gilles Lebreton.
FN = 8 élus. Patriotes = 0. Il n'y a qu'une seule ligne politique victorieuse : c'est celle de Marine ! https://t.co/TPJylyiS9N
— Gilles Lebreton (@Gilles_Lebreton) June 19, 2017
Ce n'est pas tout : alors qu'il siégeait jusqu'à présent près de Marine Le Pen au Parlement européen, la démission de celle-ci prive Florian Philippot de cet accès à la présidente du FN. Celle-ci va désormais siéger avec certains de ses adversaires, comme le député du Gard Gilbert Collard. Dès dimanche soir, ce dernier a promis, sans citer de nom, d'ouvrir le débat en interne : «Ce n'est pas concevable que j'ai eu tant de difficulté dans un coin comme le Gard avec une dynamique qui s'est arrêtée en plein vol», a-t-il lancé, disant «se poser des questions sur le fonctionnement du FN». Le débat pourrait être ouvert dès mardi, à l'occasion d'un bureau politique du Front national.
Autre perdant : le «Front national du Sud». Sur les huit élus de dimanche, cinq sont issus du bassin minier des Hauts-de-France, et trois seulement du Midi – plus précisément de l'ancienne région Languedoc-Roussillon. De ces trois, seul Louis Aliot est membre du FN : ce n'est pas le cas de Gilbert Collard, membre seulement du Rassemblement bleu Marine ou d'Emmanuelle Ménard (Hérault), soutenue par le FN sans en avoir la carte. De quoi légitimer la ligne «ni droite ni gauche» de Marine Le Pen, réputée avoir permis ces progrès dans d'anciennes terres de gauche. Mais de quoi, aussi, frustrer des sudistes désormais privés de la locomotive Marion Maréchal-Le Pen, et dont beaucoup voient dans un ancrage à droite la clé de futures victoires. «Il y a des gens autour de Marine qui lui font croire que toute la France, c'est Hénin-Beaumont, se plaignait il y a quelques mois un cadre frontiste. C'est une grave erreur !»