Ce pourrait être une banale affaire de diffamation, si la décision des juges ne pouvait écorner le vernis de respectabilité d'un des premiers partis de France. Ce vendredi, Axel Loustau, un proche de Marine Le Pen, attaque le site d'information Mediapart en diffamation. Il lui reproche d'avoir publié en 2014 deux photos de lui le bras tendu à 45 degrés lors d'une soirée privée, trois ans plus tôt, en assimilant ce geste à un «salut fasciste». Pour l'instant rien que de très classique en matière de presse. Mais l'enjeu ici est plus large : car si les juges de la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris doivent décider si Mediapart a bien publié la photo d'un salut fasciste effectué par Axel Loustau, ils doivent aussi déterminer si le trésorier du microparti «Jeanne», une association de financement de Marine Le Pen, est un antisémite notoire. La première interrogation induit la seconde, et forcément celle-ci : la présidente du Front national compte-t-elle parmi ses très proches des adorateurs du IIIe Reich ?
«Tonton» Hitler
Les deux photos ont été prises en 2011 lors d'une fête organisée sur une péniche proche de la tour Eiffel pour les 40 ans d'Axel Loustau, qui à l'époque n'était pas encore conseiller régional d'Ile-de-France, ni à la tête de la fédération FN des Hauts-de-Seine, ni même mis en examen dans l'affaire «Jeanne» pour «escroquerie en bande organisée», «faux et usage de faux», «abus de biens sociaux» et «blanchiment en bande organisée». Sont présents ce soir-là, entre autres, d'anciens camarades de Loustau, issus du GUD, dont l'ex-leader du mouvement radical Frédéric Chatillon (un autre proche de Marine Le Pen reconverti dans la com). Les clichés ont été fournis à Mediapart par un journaliste de Canal +, Thierry Vincent, qui, à l'époque, enquête sur une série de violences commises par des groupuscules d'extrême droite, en écho à la mort de Clément Méric. Ils ont également été diffusés dans l'émission Spécial Investigation, à l'occasion d'une séquence consacrée à Axel Loustau.
Sur la première image, Loustau est de dos, tient dans sa main gauche une coupe de champagne devant un groupe d’amis, entre eux un gâteau décoré de bougies. Son bras droit est tendu vers le ciel, la main est raide, le pouce plié. Sur la deuxième, Loustau est de face, souriant : même scène, ou presque. La photo aurait très bien pu avoir été prise en même temps que la première, sauf que le bras de Loustau est cette fois un peu plus tourné vers la droite, comme si son propriétaire balayait l’assistance.
Salut fasciste ou non ? La réponse de la 17e chambre pourrait porter un coup dur à la stratégie de «dédiabolisation» mise en place par Marine Le Pen depuis son accession à la tête du FN, en 2011. On se souvient que, cette année-là, un candidat FN aux cantonales du nom d'Alexandre Gabriac avait été viré du parti pour un salut nazi posté sur le site de l'Obs . A l'époque, Marine Le Pen n'avait fait que peu de cas du jeune homme, qui niait malgré l'évidence. Mais cette fois, Loustau est un très proche de la dirigeante frontiste, et il a des responsabilités autrement plus importantes.
Comme Gabriac à l'époque, Loustau nie farouchement. Il affirme qu'il ne s'agissait ce soir-là que d'un geste amical en direction de ses «150 amis» pour «saluer leur présence». Toute la difficulté des juges réside ce vendredi dans l'interprétation qu'ils vont faire de ce geste «amical», avalisant ou non celle qu'a fait Mediapart en 2014, en raison de la qualité de son auteur, de son passé, ses relations, ses idées politiques…
C'est sur la base d'un faisceau d'indices démontrant les penchants idéologiques d'Axel Loustau que l'avocat de Mediapart, Me Emmanuel Tordjman, va construire sa défense. Dans son article daté du 24 novembre 2014 et titré «Le salut fasciste de l'argentier de Marine Le Pen », le site d'information accompagne les photos de Loustau de vidéos, témoignages et documents prouvant que non seulement lever le bras de la sorte n'a rien d'anodin pour Axel Loustau, mais qu'en plus il s'agissait d'une habitude. Loin d'être un lointain clin d'œil au passé sulfureux de certaines personnes présentes dans l'assistance, ou au sien ; une blague potache entre gens avinés que le quatrième degré et l'humour noir amuse, Axel Loustau nourrirait depuis des années, affirme Mediapart, un rapport obsessionnel aux juifs et au nazisme.
Un homme présenté comme témoin des soirées de la fine fleur du GUD des années 90, autour de Chatillon et Loustau, raconte par exemple que les conversations tournaient essentiellement autour des «Juifs, des camps d'extermination» ou de Hitler, qu'ils appellent «Tonton» : «Il n'y a pas une soirée où il n'y a pas un salut nazi. Quand ils sont entre eux, ils se lâchent complètement car ils sont en confiance. Et quand ils sont dans un restaurant où il y a du monde, leur blague est de faire des petits saluts, en levant juste la main. Toutes leurs conversations tournent autour de cela», peut-on notamment lire.
Croix gammée et assiette de riz
Dans un autre article, Mediapart évoque encore, captures d'écran à l'appui, les allusions permanentes au nazisme des profils Facebook supposés appartenir à Axel Loustau, un temps inscrit sur le réseau social avec les anagrammes «Alex Talusou», «Alex Soulatu», «Alex Saloutu», ou encore «Ax EL» et «Edmond Dantes», les «références implicites à la Shoah», les petits mots d'anniversaire écrits en allemand par ses amis le 20 avril, date de naissance d'Adolf Hitler. Ou cette photo, postée en 2012, d'une croix gammée dessinée dans une assiette de riz… «La femme d'Axel Loustau elle-même commente la photo», raconte Mediapart.
Il y a aussi les relations passées, l'adoration que Loustau a pu nourrir à l'égard de personnes comme Léon Degrelle, un négationniste belge qui voyait en Hitler «le génie foudroyant, le plus grand homme de notre siècle». L'une de leurs rencontres, en 1992, a été filmée. Sur cet épisode, Loustau s'expliquera plus tard en ces termes : «J'avais 20 ans quand j'ai serré la main de Léon Degrelle. Je l'ai fait comme j'aurais serré celle d'un général de l'armée soviétique qui a libéré Berlin» , et «j'ai du respect pour les gens qui se battent pour leurs idées, mais je ne suis ni nazi ni antisémite». Au sujet du salut qu'il aurait effectué en 2011, il postera en riposte d'autres photos montrant cette fois des personnages publics le bras positionné à l'équerre. Une façon de prouver qu'on peut faire dire tout et n'importe quoi à un cliché, comme si la suspicion d'antisémitisme était toujours à degré variable, pourvu que le sujet photographié soit sulfureux ou non.