La donnée «ne fait que confirmer un constat déjà mis en évidence par d'autres études», affirme Rudy Reichstadt, membre de l'Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, et fondateur du site Conspiracy Watch : les sympathisants d'extrême gauche et d'extrême droite sont plus enclins à verser dans les théories du complot, révèle l'enquête de l'Ifop publiée lundi. Les deux candidats à la dernière présidentielle «à avoir le plus capté les suffrages des "complotistes endurcis" [qui croient à cinq théories du complot ou plus, parmi celles qui leur ont été soumises, ndlr] sont Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen», écrit Reichstadt dans une note. Qui conclut que le positionnement politique «apparaît comme l'une des variables les plus prédictives de l'adhésion au conspirationnisme».
Autrement dit, voter Le Pen ou Mélenchon serait un fort indice d'une tendance à croire aux thèses complotistes, et inversement. Adhérer à ces thèses serait aussi un premier pas vers la radicalisation politique. De fait, les théories du complot peuvent être un outil d'endoctrinement puissant pour les organisations radicales d'extrême gauche ou d'extrême droite. Mais ce lien est à prendre avec précaution. D'abord, les spécialistes ont pu observer à plusieurs reprises le fait que les jeunes attirés par les thèses conspirationnistes sont souvent des personnes qui ont du mal à se situer sur l'échiquier politique. En 2016, lors d'une conférence organisée par la Fondation Jean-Jaurès sur les «délires d'opinion» et les théories du complot, Iannis Roder, professeur d'histoire-géographie à Saint-Denis et membre de l'observatoire de l'éducation de la fondation, avait mis en lumière que, souvent, ces jeunes sont incapables de «comprendre ou bien assimiler ce que veut dire gauche-droite, ce que sont l'extrême droite, l'extrême gauche, et la signification de ces positionnements en termes de discours».
Pour certains chercheurs, réduire les «complotistes» à leur seule proximité politique ou à leur âge relèverait donc du non-sens. Il s'agirait même d'un «mépris de classe et générationnel», analyse Nicolas Lebourg, historien, membre de l'observatoire des radicalités de la Fondation Jean-Jaurès. Le conspirationnisme n'est pas l'apanage des milieux ouvriers et des classes sociales basses, avance-t-il. Ni «un signe de stupidité naïve et juvénile», écrivait-il dans Slate, en juin 2016. D'abord il touche tout le monde, n'est «ni une maladie, ni un délit, ni une idéologie, mais une méthode de représentation du monde». Alors qu'on sait que Marine Le Pen capte l'électorat le moins diplômé et le plus populaire, le conspirationnisme, lui, toucherait toutes les catégories sociales. On l'a d'ailleurs vu dans l'étude de l'Ifop, le critère de la classe sociale n'est pas concluant pour déterminer le profil type de la personne la plus à même d'adhérer aux thèses complotistes. «Il suffit d'aller lire les commentaires sur le site d'Alain Soral. On y trouvera foison de gens ayant une maîtrise du langage, des notions d'économie, de droit, de géographie politique», écrit encore Nicolas Lebourg.
Autre exemple, lorsqu’Alain Finkielkraut affirme que le hashtag #balancetonporc relève d’une machination pour «noyer le poisson de l’islam» (en 2016, pour lui, c’était l’affaire Baupin qui servait à faire oublier les événements de Cologne), on ne peut pas l’accuser d’avoir un niveau d’étude peu élevé. «Pourtant, on est bien là en face d’une thèse complotiste, puisqu’on est dans une représentation globale du monde sur une interprétation unicausale». De même que certaines théories vont avoir tendance à attirer l’attention de classes plus aisées. «Parmi ceux qui croient que le Graal serait dissimulé dans une grotte au Moyen-Orient, 52 % sont des hauts revenus et 45 % des diplômés des niveaux master et doctorat, contre 33 % des titulaires d’un CAP ou d’un BEP.»