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Libération
Reportage

Union des droites : le FN en Gironde avec ses gros «labos»

Dans plusieurs villages de Nouvelle-Aquitaine, des LR ont accepté de manière décomplexée l’alliance proposée par l’élue d’extrême droite Edwige Diaz, qui s’apprête à entamer un tour de France des régions propices à ce genre de «fusion» nationaliste.
Dans la 11e circonscription de la Gironde, où Marine Le Pen a fait 48 % lors de la dernière présidentielle, des membres ou ex-membres de ­partis de droite ont créé ­avec le FN ­l’association «Pour la France, la France unie», sorte de laboratoire d’union des droites. (Photo Rodolphe Escher)
publié le 8 juin 2018 à 19h36

A Saint-André-de-Cubzac (Gironde), la façade du Café de la gare vient tout juste d’être refaite, avec le même rouge vif que la 2CV garée à côté et qui sert d’ornement. A l’étage, la brasserie dispose de pièces au calme pour passer à table plus discrètement, des salles de réunion où la droite locale discute volontiers avec le Front national.

Le 23 mai se sont retrouvés là quelques membres de «Pour la France, la France unie» (PLF), une association lancée deux mois plus tôt à Marcenais, à 15 km de Saint-André-de-Cubzac, dans le but de «rassembler» des élus de droite de la 11e circonscription de Gironde - où Marine Le Pen a fait 48 % à la dernière présidentielle. Depuis, toute la presse parle de l'initiative, médias locaux comme nationaux, pointant le «mélange de couleurs politiques» au sein du mouvement. «Pour la France» montrerait la fameuse «réunion des droites», que la quasi-totalité des chefs de partis situés de ce côté de l'échiquier cherchent en ce moment à composer, est possible.

Au Café de la gare, Jean-Jacques Edard fait l'homme lassé de répondre aux journalistes. «Mon téléphone n'arrête pas de sonner», dit le maire de Cavignac (Gironde), en montrant son smartphone. «Là, par exemple, c'est France Inter qui cherche à me joindre.» Edard a une actualité, il vient de se faire virer de LR pour ce mariage contre-nature dont il dit être à l'initiative, avec d'autres qui l'accompagnent ce jour-là. «On a fait s'asseoir à une même table des gens qui ont un même mode de pensée.»

Parmi eux, il y a Olivier Guibert, responsable FN dans la circonscription, présent ; Martine Hostier, conseillère nationale de Debout la France, le parti de Nicolas Dupont-Aignan, présente aussi ; Hervé Cluzeau, encarté nulle part, mais qui dit avoir déjà voté Jean Lassalle. Il y a aussi Fabrice Coffinet, «avec deux "f" comme dans "France"», un ex-LR qui a «changé son fusil d'épaule» en passant au FN «parce qu'avec l'âge on évolue» ; ce que confirme Dominique Monnet, ancien élu, 72 ans, engagé successivement à l'UDF, puis à l'UMP, puis à LR : «Je suis encore encarté LR tant qu'on m'y autorise.»

«Désenclavement»

Bref, à première vue, rien qui sente tout à fait le grand «mélange des couleurs» qu'on nous avait promis. Et quand on demande si PLF est bien ce «rassemblement des droites» que les médias décrivent, on nous répond qu'il s'agit surtout d'«un rassemblement tendance droitière». Mais quelqu'un dans la pièce corrige gentiment : «Moi, j'appelle ça le rassemblement des nationaux.» Ce quelqu'un, c'est Edwige Diaz. La femme de 30 ans est assise à côté de Jean-Jacques Edard. Discrète, la conseillère régionale FN laisse ses camarades exposer le projet. Pourtant «Pour la France, la France unie» n'aurait jamais vu le jour sans son intervention, et elle est la seule à être soutenue par son parti. Ce qui ne veut pas dire qu'il est plus ouvert que les autres, mais qu'il est le seul à profiter de la situation.

Edwige Diaz a été candidate aux dernières législatives dans la circonscription. Elle y a obtenu 43 % des suffrages. De quoi lui donner un certain crédit au sein du Front national. Alors quand elle a demandé à l'entourage de Marine Le Pen l'autorisation de lancer son idée d'«union des droites» en Gironde, on lui a tout de suite dit oui. Et comme la mayonnaise a pris depuis chez les journalistes, Edwige Diaz va bientôt faire le tour des régions avec l'aval du FN pour exporter ses méthodes et son «labo» (un nom qui a un temps été évoqué pour PLF) dans des espèces d'ateliers de coaching pour élus frontistes. Ou comment le Front national applique sa stratégie de «désenclavement» au niveau local. «Je fais ça parce que l'entraide, c'est primordial. Mais je mets en garde ceux qui demandent la recette : tout ça, ça ne se calcule pas, ça se crée avec le temps», explique Edwige Diaz à Libération.

«On est ensemble par plaisir, on s'entend bien depuis longtemps, on se voyait déjà souvent pendant la campagne, alors on a décidé d'aller plus loin», dit l'un d'eux. Un autre : «On a fait le constat que l'électorat est aujourd'hui perdu et désabusé, et qu'aux dernières élections, ils sont restés chez eux. On a donc décidé de se réunir pour donner la parole à la base, remonter les thèmes qui intéressent les citoyens.» Voilà pour les éléments de langage.

«On pense qu'il est grand temps que les Français se ressaisissent. Il y a une certaine idée de la France qui est en train de disparaître, le sentiment des "racines", par exemple. On est les porte-parole de ceux qui en ont marre.» De quoi ? «On donne des papiers à n'importe qui. On nous dit "notre destin c'est d'accueillir des gens, c'est l'avenir du pays", mais dans quelle mesure une immigration massive pourrait être bénéfique pour nous ? Il faut bloquer les frontières, il faut filtrer.» Jean-Jacques Edard : «Dans ma commune, on a des classes de 27 élèves, dont 23 étrangers qui s'expriment dans leur langue.» Comment il le sait ? «J'ai regardé la liste des parents qui paient la cantine et vu les patronymes» - la méthode Ménard à Béziers (Hérault). On prend congé.

Saint-Savin (Gironde), le 24 mai. Jour de marché. Dans le village en pierre de Bordeaux, trois stands se font face : un maraîcher, un poissonnier, un fromager. Quelques chalands, pas beaucoup. Que pensent-ils de cette «fusion des droites» ? «Le FN est mort depuis que Marine Le Pen est entrée dans la franc-maçonnerie. On est gouvernés par eux et c'est ça qui nous tue. Ils suivent les banques, on est manipulés par les banques.» Et Diaz, elle est sympa ? «Ah oui, physiquement, elle est sympa.» Un monsieur nous répond à son tour : «Le nouveau mouvement, c'est une bonne chose. Marine Le Pen, elle gagne dans les campagnes. Mais je le connais, Jean-Jacques Edard, il a toujours été à droite de la droite.» Quand on lui demande ce qu'il faut changer selon lui, il réplique illico : «La France terre d'asile, faut arrêter les conneries. Les réfugiés, ils ont la bouffe gratuite, la parabole et la deuxième parabole gratuite, et à côté de ça, le Français de base il est seul sous les ponts comme un con.» On lui fait alors remarquer que les réfugiés sont peu nombreux dans le coin. «Y a pas beaucoup d'immigration, mais ça commence. Avant on était tranquilles, maintenant dans les cantines, ils enlèvent le porc. En revanche, tu vas chez eux, y a pas une église. On est en train de se faire sodomiser.»

Cavignac, même jour, marché aussi. A midi «on remballe» parce que «laisse tomber, y a personne». La brasserie, sur la rue principale, est, elle, garnie. On y rencontre «Jojo» : «Je vote FN depuis quarante ans.» Sa vision de la fusion des droites : «J'en pense que du bien ! Des bistrots, des petits commerces, ici y en a plus. A Cavignac, y'a plus que la Brasserie. Edwige [Diaz], elle est bien. Mais elle a rien à faire avec le maire [Edard] qui veut surtout monter plus haut, il veut se faire réélire.» Un autre client : «Là vous venez le jour du marché, mais samedi, dimanche, y a plus rien. Il se passe plus rien, tout est fermé. Il y a une vingtaine d'années, c'était plus vivant. Maintenant, les gens, ils passent en voiture, mais ils s'arrêtent plus.»

Asperges et vignes

Dans la 11e circonscription de Gironde, le FN est en perpétuelle progression depuis cinq  ans. A la présidentielle de 2012, Marine Le Pen n'y faisait «que» 25 % et aux législatives, le parti d'extrême droite n'atteignait pas les 18 %. «Ces dernières années, il y a eu beaucoup d'arrivants venus des métropoles, la création de nouveaux quartiers, mieux équipés, cela a créé de la mixité, et les gens ne reconnaissent plus leur village. Ils ont un sentiment d'exclusion et à côté de ça, les magasins ferment, il y a très peu de services et de transports publics, alors les gens se réfugient derrière des discours populistes très violents, dans une région qui était déjà un terreau au rassemblement des droites», analyse la maire PS de Saint-André-de-Cubzac, Célia Monseigne. Un homme de la région, 70 ans, retraité de la fonction publique, nous éclaire encore : «La plupart des habitants sont des braves gens, ce n'est pas de la méchanceté, mais ils se sentent isolés. Leur vote FN, c'est pour dire "non". Ils disent non à l'Europe parce que son application les brime pour la chasse, l'agriculture… Ici, il n'y a pas d'immigration ni d'insécurité, mais il y a la peur de l'autre. Les gens regardent la télévision et ont peur des migrants. Parce qu'il faut toujours trouver un bouc émissaire quand on a des problèmes. Du temps de l'hitlérisme, c'étaient les Juifs.»

A quelques encablures, Générac (Gironde), 500 habitants, est logé entre les champs d’asperges et les vignes, avec ses maisons en pierre et son église paroissiale. Le village est calme. Il y passe en moyenne une voiture par heure. Marine Le Pen y est arrivée en tête à la dernière présidentielle, au premier comme au second tour.

Photos Rodolphe Escher