La scène a lieu mercredi soir dans les sous-sols de l'Assemblée nationale, à la sortie de la salle 6242, où la commission des lois mène depuis le début de la semaine ses auditions dans le cadre de l'affaire Benalla. Fustigeant la décision de la présidente de la commission, la députée LREM Yaël Braun-Pivet, de limiter la liste des personnes amenées à être interrogées, la députée France Insoumise Danièle Obono appelle à la rejoindre devant les journalistes plusieurs de ses collègues de l'opposition présents : «Elle [Yaël Braun-Pivet, ndlr] vient de ridiculiser le Parlement […] ça vaudrait le coup que nous soyons tous devant les caméras pour l'exprimer», lance-t-elle. Elle est immédiatement rejointe, sans le vouloir, par Marine Le Pen, sautant sur l'occasion (trop belle) pour participer à la photo de classe.
Embarrassée par les images, qui vont tourner en boucle toute la journée du lendemain sur les réseaux sociaux, Obono sera sommée de s'expliquer : «Je m'adresse à l'opposition républicaine dont ne fait pas partie selon moi le FN/RN», déclare-t-elle sur Twitter, laissant à la seule Marine Le Pen le profit médiatique de la séquence. «Je n'ai aucun rapport avec Danièle Obono, nous sommes des opposants politiques, mais compte tenu de la commission d'enquête, il y a une coalition des oppositions dans une même indignation légitime. Nous ne sommes pas ici des députés LR, [LFI], RN… mais des députés attachés aux institutions du bon fonctionnement démocratique», explique-t-elle à Libération.
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Pour la présidente du Rassemblement national, la semaine a été bonne, entre coups de gueule devant les caméras et questions serrées en commission. A l'Assemblée, cela faisait longtemps que cela ne lui était pas arrivé. Il y a un an, revenant de deux mois de vacances après son échec à la présidentielle et la déconvenue de son parti aux législatives qui ont suivi, Marine Le Pen avait eu tout le mal du monde à incarner la place d'opposante en chef à la politique du gouvernement qu'elle estime devoir lui revenir de droit en tant que finaliste de la course à l'Elysée. Sauf qu'entre-temps, le parti de Jean-Luc Mélenchon lui avait déjà ravi la place au Palais-Bourbon, occupant le terrain tout l'été alors qu'elle voyait sa rentrée politique polluée par les psychodrames internes et le départ de son numéro 2 Florian Philippot. Sur le terrain, nombre de ses électeurs, déboussolés, tournant en boucle sur son débat catastrophique d'entre-deux tours, l'avaient déjà enterrée profond.
Depuis un an, la dirigeante frontiste n'avait fait parler d'elle qu'au travers de la «grande refondation» du Front national, qu'elle a engagée après la dernière déception électorale : celle-ci n'a abouti qu'à un changement de nom du parti qu'elle dirige, devenu le Rassemblement national qui devait servir d'appât à des soutiens droitiers potentiels pour les européennes. Personne n'a mordu pour l'instant, pas même l'ancien appui Dupont-Aignan.
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Ces derniers jours en revanche, Marine Le Pen était sur beaucoup des images marquantes à l'Assemblée : un échange musclé avec le délégué général de LREM Christophe Castaner, salle des Quatre-Colonnes, pour lui reprocher de parler aux caméras en esquivant l'hémicycle, plutôt que de «[s]'expliquer sur le scandale d'Etat qui a eu lieu», aura lancé la machine. Puis un autre avec des députés de la majorité dans les couloirs du Palais-Bourbon. N'était-ce pas elle, encore, à l'origine du rétropédalage du directeur de l'ordre public et de la circulation Alain Gibelin, lors de la commission d'enquête parlementaire, après l'avoir interrogé sur la sanction appliquée ou pas à l'encontre d'Alexandre Benalla ? «L'engueulade entre Marine Le Pen et Christophe Castaner a dopé le moral de nos militants, explique le député du Nord et porte-parole de RN Sébastien Chenu. Cela a créé des encouragements, on l'a constaté sur les réseaux sociaux, avec des choses comme "Marine est de retour". Elle a été très en pointe depuis le début sur l'affaire Benalla […] et il est clair que son électorat l'a vu.»
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Le moment est d'autant plus important pour le Rassemblement national qu'il a lancé début juillet un appel aux dons à ses sympathisants, pour répondre à la décision de la justice française de geler 2 millions d'euros de subventions que le parti d'extrême droite devait recevoir, en raison de soupçons de détournements. Cette campagne, commencée en pleine Coupe du monde, avait déjà permis à RN de récolter 300 000 euros à la mi-juillet. Et selon Jean-Lin Lacapelle, délégué national aux ressources du RN, la récolte viendrait de «dépass[er] les 500 000 euros». Un effet Benalla ? Oui, «c'est un vrai sursaut populaire. Depuis le début de l'affaire, on a eu un regain d'adhésions supérieur à celui du mois de juillet 2017, assure Lacapelle à Libération. L'affaire Benalla a été un booster !» Et Sébastien Chenu d'ajouter : «Ce que j'ai vu c'est qu'il y avait un pic sur les réseaux sociaux chez nos militants et nos adhérents, de soutien à Marine Le Pen». Reste à transformer cet élan dans les urnes aux prochaines européennes, ce ne sera pas une mince affaire.