Marine Le Pen est restée aux portes du Palais, mais ses idées, elles, «sont en train de prendre le pouvoir en Europe» comme en Hongrie, en Pologne, en Italie. Elle n'a pas de soutiens en France et son mouvement, le Rassemblement national (ex-Front national), n'est toujours pas parvenu à engranger le moindre ralliement marquant pour les européennes, mais Marine Le Pen a des amis… en dehors de l'Hexagone. En précampagne pour les élections à venir, la cheffe de file de l'extrême droite française s'est montrée lundi à Rome avec son alter ego transalpin, le ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini, leader de la Ligue (ex-Ligue du Nord) devenu depuis les dernières élections générales de son pays vice-président du Conseil.
Dans l'ordre des choses populiste du moment, le rendez-vous entre les deux leaders d'extrême-droite intéressait plus la presse française, venue en nombre, que les journalistes transalpins. De fait, il s'agissait plus d'une simple opération «photo» pour montrer une Marine Le Pen bien entourée (le 1er mai, à Nice, elle avait invité le secrétaire général du FPO autrichien, Harald Vilimsky, et les dirigeants du KNP polonais dans la même optique) que d'une conférence de presse au sommet. La rencontre avait lieu dans les locaux du syndicat italien Union des travailleurs (UGL) : une vieille formation italienne de droite, marginale mais proche des idées portées par Salvini, tout à la défense des travailleurs italiens contre ces immigrés qui «dévaluent la valeur du travail en Italie».
La blague douteuse de Salvini
Mais mis à part une blague douteuse de Salvini sur Emmanuel Macron et l'écrivain anti-mafia Roberto Saviano («J'espère qu'ils ne sont pas mis torse nu pour faire un selfie quand ils se sont rencontrés»), la Française et l'Italien ne sont guère sortis de leurs rails habituels. Les deux figures populistes se connaissent depuis longtemps, ont fait partie du même groupe au Parlement européen (le Mouvement Europe des nations et des libertés, MENL), et ne manquent pas une occasion depuis l'arrivée au pouvoir de Salvini d'afficher leur proximité, se donnant du «Marine» et du «Matteo» à tout bout de champ.
Lui espère que Le Pen finira un jour par gagner, elle répète partout que si Salvini y est arrivé, c'est parce qu'il s'est inspiré d'elle. Mais si le parti de Salvini est crédité de 30 % aux européennes, le RN de Marine lui est loin d'être à son plus haut avec 17 à 21 % des intentions de vote dans les derniers sondages. Lundi, l'Italien a concédé que «l'expérience de Marine Le Pen», qui selon ses proches aurait fait passer Salvini d'une stratégie régionaliste à nationale, «a été très importante» pour lui et son mouvement. «On a l'honneur d'être au gouvernement et je suis convaincu que tôt ou tard ce sera son cas aussi», a-t-il prédit bon prince.
Renverser l’Union européenne
La rencontre Salvini-Le Pen, qui devait servir sur le papier à évoquer «la croissance économique et les perspectives sociales» en Europe, a évidemment beaucoup tourné autour de la question des flux migratoires. Marine Le Pen a par exemple dit que ce que fait chez lui Matteo Savini – lequel est poursuivi en Italie pour «séquestration» de migrants – est «fondamental, car il montre que c'est possible de lutter contre l'immigration». Marine Le Pen a aussi assuré que, depuis sa création, l'Union européenne sert à «rechercher de nouveaux esclaves», car elle «a été construite non pas pour les peuples, mais pour renforcer les pouvoirs d'une superclasse mondiale. [L'UE] utilise l'homme comme un outil. Mais l'homme n'est pas un outil. Quand il arrive dans un pays, il le fait avec ses mœurs, sa religion, ses traditions, qui sont parfois très éloignées de celles du pays dans lequel il arrive». Celle qui défend l'idée d'une Europe des nations, «pas contre l'Europe, mais contre l'Union européenne», mais ne propose plus la sortie de l'euro, «pas à l'ordre du jour» (Salvini pense pareil) oppose les souverainistes (elle) contre «les mondialistes» (les autres), parce que le mondialisme, c'est «l'immigration massive et la baisse du pouvoir d'achat».
Autre chose : Marine Le Pen a surtout promis lundi une «révolution pacifiste et démocratique» à venir. A l'en croire, celle-ci serait en train de poindre un peu partout en Europe, au fur et à mesure que «les peuples sont en train d'ouvrir les yeux». Cette «alternance», que Le Pen espère possible (et incarner) après la victoire des partis d'extrême droite aux prochaines européennes, doit se faire, dans l'idée frontiste, par le biais d'une grande coalition au Parlement, au sein d'un groupe commun, qui servirait à renverser l'Union européenne de l'intérieur. Même si Salvini, prudent, a soufflé à Rome que «nous verrons les modalités après les élections», plusieurs cadres du Rassemblement national sont déjà en train de préparer la chose, multipliant les rendez-vous avec les leaders des autres formations d'extrême droite en Europe. Même si toutes ne sont pas sur la même longueur d'onde.
Sans Bannon «l’Américain»
«En Hongrie, en Pologne, aussi, certains aspects de notre politique sont repris. Car on remet en cause le fonctionnement de l'Union européenne», dit un cadre. Et pour ceux qui pensaient que cette «coalition» se ferait par l'entremise de Steve Bannon, sulfureux ancien conseiller de Donald Trump, qui vend être arrivé en Europe il y a peu pour réunir les extrêmes droites derrière un super think tank censé faire tomber l'Union européenne : cela se fera finalement sans lui. «Bannon est Américain, il n'est pas issu d'un pays européen. Il a sa fondation qui va fournir des sondages et des analyses. Mais la force politique qui vise à redonner sa souveraineté au peuple, c'est nous qui la portons et nous seuls», a résumé Marine Le Pen. Au sujet de l'invité d'honneur du congrès de mars, où le Front national s'est mu en Rassemblement national, un proche de l'ancienne candidate à la présidentielle ajoute ceci : «Nous n'avons pas attendu Bannon pour travailler ensemble.» Manière de rappeler que, si Marine Le Pen a des amis, ils ne le restent pas toujours longtemps.