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Analyse

Le Rassemblement national, sans gouvernail mais dans le vent

Selon un sondage Viavoice pour «Libération», Marine Le Pen traverse une crise de leadership. Paradoxalement, ses idées progressent à droite, à sept mois des européennes.
(Infographie Christelle Causse)
publié le 30 octobre 2018 à 20h56

Dix-huit mois après le second tour de la présidentielle, la perspective de voir Marine Le Pen arriver un jour au pouvoir inquiète de plus en plus les Français, mais paradoxalement ses idées progressent encore, selon un sondage Viavoice pour Libération. Ils sont 55 % à considérer qu'une victoire de l'actuelle présidente du Rassemblement national (ex-Front national) dans la course à l'Elysée serait «un drame pour l'avenir du pays», un chiffre en progression de six points par rapport à mars. En parallèle, une majorité des sondés estiment aussi qu'une victoire de l'extrême droite aux prochaines européennes serait un événement négatif. A ce propos, on peut noter que si seules 25 % des personnes interrogées pensent l'inverse, 18 % seraient tout à fait indifférentes à la chose.

Des résultats qu'on serait tenté de lire avec prudence : d'abord, la campagne pour les européennes n'est pas encore officiellement commencée, et la prochaine présidentielle n'interviendra pas avant quatre ans. «Les résultats sont certes conjoncturels» mais, au contraire, «on peut aussi considérer que les chiffres sont d'autant plus impressionnants qu'on est encore loin de l'élection et que, normalement, il n'y aurait aucune inquiétude à avoir» au sujet d'une victoire potentielle de Marine Le Pen à la présidentielle, commente Aurélien Preud'homme, directeur des études politiques à Viavoice.

Toujours est-il qu’il reste des mois et même quelques années à l’ex-finaliste de la présidentielle, si toutefois elle souhaitait retenter sa chance, pour inverser la tendance. Mais la tâche s’annonce compliquée : des semaines après la mue du Front national en Rassemblement national, seulement 11 % des Français considèrent que le parti qu’elle dirige est dans une phase de dynamique, 47 % imaginant au contraire la formation mariniste en plein déclin.

«La dynamique n’est plus là»

Pire encore pour la dirigeante frontiste : son leadership à l'extrême droite ne semble plus s'imposer aujourd'hui comme un fait indépassable. Viavoice a demandé aux électeurs qui, parmi une liste de noms de la droite dite «classique» à «extrême» (Laurent Wauquiez, Florian Philippot, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Marie Le Pen, Marion Maréchal, Marine Le Pen), incarnait le mieux «les idées portées par le Front national puis par le Rassemblement national» en France, et 31 % d'entre eux n'ont pas répondu. Autrement dit, «un tiers des sondés ne savent pas qui porte aujourd'hui les idées du Rassemblement national. La chose aurait été impensable dans les années 90. Si on avait demandé à l'époque qui incarnait le mieux le discours du FN, tout le monde aurait répondu immédiatement "Jean-Marie Le Pen"», dit Preud'homme. La preuve que les idées de l'extrême droite ont gagné du terrain à droite et ne sont plus l'exclusivité du RN. Ou que Marine Le Pen a échoué à devenir leur représentante charismatique naturelle ? Le fait est que «depuis son accession à la tête du Front national, en 2011, la progression électorale de Marine Le Pen et de sa formation a toujours été en forte augmentation. Mais la dynamique n'est plus là».

Autre élément : «Même si le FN reste lié dans les esprits à la famille Le Pen, la question du leadership est maintenant posée», poursuit le directeur des études politiques à Viavoice. Dans ce contexte, 20 % des Français (34 % chez les sympathisants du RN et 32 % chez ceux de droite) voient plutôt Marion Maréchal, en retrait de la vie politique, comme la digne représentante de l'extrême droite française. Sa tante obtient, elle, 31 % chez l'ensemble des Français, 57 % chez les sympathisants du RN et 29 % à droite. «[Elle] paye encore son débat d'entre-deux-tours raté et les affaires dans lesquelles est englué son parti montrent qu'elle n'est pas la personne la mieux à même pour diriger», affirme Aurélien Preud'homme. Dans ce cas, pourquoi le RN serait-il crédité de 21 % des intentions de vote aux prochaines européennes, selon d'autres études, soit quasiment au même niveau que le parti au pouvoir LREM ? «Le score est élevé et, en même temps, il est toujours en dessous du chiffre des précédentes européennes [24,86 %, ndlr]», où le FN avait fini en tête.

Zone grise

On ajoutera pour nuancer que, quatre ans après, le RN est, parmi les partis du «vieux monde» celui qui s'en tire le mieux : le PS suffoque à 4,5 % et LR culmine à 14 %. «LR a été siphonné à son centre droit par LREM et Laurent Wauquiez a donc opté pour une ligne plus à droite, mais il ne parvient pas à absorber l'électorat lepéniste», souligne-t-on chez Viavoice. Paradoxalement, 80 % des électeurs de droite partagent aujourd'hui avec le Rassemblement national l'idée selon laquelle l'islam serait «une menace pour l'identité nationale», et 81 % considèrent qu'il faudrait «réduire drastiquement l'immigration». Une communauté de pensée. Mais des phobies identitaires qui restent plus marquées encore chez les sympathisants du RN : 87 % d'entre eux estiment en effet que «si on ne limite pas l'immigration, il pourrait y avoir une guerre civile dans les années à venir», contre 68 % à droite.

Les électeurs de droite les plus radicaux semblent donc aujourd'hui partagés, dans une espèce de zone grise, entre un Laurent Wauquiez qui les brosserait dans le sens du poil mais ne pousserait pas l'idéologie plus loin que le simple calcul politique, et une Marine Le Pen qui, elle, porterait ces thèmes historiques comme une marque forte mais demeurerait repoussante sur les questions économiques. Selon Aurélien Preud'homme, ce manque de crédibilité pourrait d'ailleurs être le dernier garde-fou à son accession au pouvoir, comme sa capacité à fédérer de son côté de l'échiquier. Seulement 29 % des électeurs de droite pensent que l'élection de Marine Le Pen serait «une bonne chose pour l'emploi», et 22 % pour leur pouvoir d'achat.

Selon Viavoice, 42 % des Français s'inquiètent que la France quitte l'Union européenne et abandonne l'euro en cas d'élection de Marine Le Pen, et 39 % que celle-ci provoquerait une crise économique majeure. A elle - ou un(e) autre - de réussir à rassurer sur la question, «et les digues républicaines s'en retrouveraient rapidement submergées», anticipe Aurélien Preud'homme.