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Libération
Gilets jaunes

L’extrême droite tente de se rhabiller en jaune

Nicolas Dupont-Aignan, Marine Le Pen et Marion Maréchal essayent de récupérer un mouvement fondé sur le sentiment de relégation territoriale.
Marion Maréchal à Marseille, le 9 décembre 2015. (Patrick GHERDOUSSI)
publié le 30 novembre 2018 à 19h36

Le moment devait être à ce point historique qu'il en a fait sortir Marion Maréchal de sa tanière politique. C'est arrivé mercredi sur BFM TV : «Je [suis] un soutien moral ardent pour la souffrance des ["gilets jaunes"]. J'ai beaucoup d'empathie pour eux», a expliqué l'ex-députée du Vaucluse. Avant cela, elle avait affirmé avoir participé à la manifestation de samedi sur les Champs-Elysées, marquée par de violentes échauffourées. Totalement incognito puisqu'aucune image d'elle en veste fluo n'a fuité. Pourquoi y aller ? «Je n'ai pas pu m'en empêcher.» Alors pourquoi en parler ? Un ancien proche de la directrice de l'Issep a son idée :«Son entourage a dû lui dire que c'était énorme et qu'il fallait qu'elle raconte qu'elle y était.»

Sans trop en faire

Bien que revendiqués apolitiques, les gilets jaunes attisent l'appétit de toute l'opposition (lire ci-dessous). Parce que le mouvement, protéiforme et soutenu par huit Français sur dix, agrège diverses colères, offrant de multiples points d'accroche. Parce qu'il y a un dégagisme anti-Macron aigu sur les barrages, derrière lequel les opposants peuvent tenter de jouer aux recours. Mais, l'extrême droite, plus que d'autres, sait qu'elle a une carte à jouer.

«Les gilets jaunes sont à l'image de cette France qui paye toujours la note», estime-t-on au Rassemblement national, évoquant cette «France des oubliés» dont Marine Le Pen se dit l'avocate. Des personnes plus enclines à voter pour elle à mesure que leur sentiment de relégation territoriale augmente. Un cadre résume : «Ils ressemblent à nos électeurs. Des gens malheureux parce qu'ils sont d'habitude invisibles, et qui ont un sentiment de mépris profond des politiques.» Toute la difficulté consiste à capter l'attention des gilets jaunes sans trop en faire. «C'est un mouvement tellement antisytème qu'il pourrait considérer que même la présence de RN n'est pas souhaitable», estime le politologue Jean-Yves Camus.

Pour le parti d’extrême droite, cela revient à soutenir les manifestations sans que sa cheffe y prenne part, et à défendre la revalorisation du smic dans les médias. «Les gens veulent qu’on leur parle de pouvoir d’achat. Nous, on se fait leur porte-parole, et [Le Pen] en ce moment a une voix qui porte plus, parce qu’elle est en tête des sondages», explique-t-on dans l’entourage de la présidente de RN. Tout est loin d’être rose pour la formation. «Une partie des gilets jaunes pourrait déjà avoir tourné le dos au vote ou sont des candidats à l’abstentionnisme», estime Camus. De plus, les vieilles lunes du RN n’impriment pas forcément sur le mouvement. «La division identitaire est très secondaire dans le mouvement, analyse le politologue. Ce n’est pas une mobilisation anti-immigration. De fait, le RN rame à contre-courant pour tenter d’expliquer que, si la vie est dure, c’est à cause des migrants.»

Conscient de tout ça, Nicolas Dupont-Aignan se pose en alternative. Le patron de Debout la France (DLF) soutient les gilets jaunes depuis le début, le 17 novembre. «Sans complexe», parce que «eux, c’est nous : ils expriment ce que je ne cesse d’exprimer». Mais Dupont-Aignan pense avoir quelque chose en plus que sa concurrente : «Je suis moins tranché et plus consensuel.»«Le RN, ils sont incapables de parler aux gilets jaunes parce que Marine Le Pen n’est entourée que de bœufs qui ne causent que d’immigration», dit l’un des proches conseillers du président de DLF.

Vidéos virales

«Je n’ai pas le monopole de ces gens-là, mais plein de gilets jaunes sont à DLF. D’ailleurs, beaucoup ont lancé des mouvements locaux sans m’en parler», assure encore Dupont-Aignan. Le souverainiste dit vrai. L’une des premières vidéos virales appelant à manifester contre la hausse des taxes sur les carburants a été faite par un certain Frank Buhler, adhérent de DLF qu’il a rejoint en mai alors qu’il allait être exclu de RN à cause de propos racistes. Devenu célèbre, Buhler s’est présenté dans les médias comme responsable de circonscription pour le parti de Dupont-Aignan. Ce qui a bien arrangé les affaires de la tête de liste DLF aux européennes : «Quand on a vu qu’il s’arrogeait un rôle à DLF alors qu’il n’a jamais été nommé, on n’a rien dit parce que sa vidéo a fait 6 millions de vues. On aurait donné l’impression de tourner le dos aux gilets jaunes.»