Pas franchement une surprise, pas vraiment une anecdote. Le LR Thierry Mariani n'a pas franchi le Rubicon, mercredi matin, en annonçant lors d'une conférence de presse organisée dans un bar du XVe arrondissement de Paris, qu'il figurerait sur la liste du Rassemblement national (ex-Front national) aux prochaines élections européennes. Depuis des années, l'ancien député du Vaucluse, qui fut ministre des Transports de Sarkozy (2010-2012), côtoyait les thèmes du parti d'extrême droite, avant de se mettre à flirter ouvertement avec Marine Le Pen, un peu poussé par le poids de l'électorat frontiste sur ses terres.
Une vidéo INA ressortie récemment du grenier montre les deux sur le plateau de France 3, en 2002, s'envoyant des boutades. Elle (pas encore présidente du FN) lui lance : «Ecoutez, Monsieur Mariani, moi la question que je me pose, c'est qu'est-ce que vous faites à l'UMP ? Vous êtes tellement proche de nous que je vous ai apporté un bulletin d'adhésion.» Lui répond en riant (gêné) : «Merci, c'est gentil, mais non.» Entre-temps, il n'y a pas eu grand-chose, mais depuis un an, les cadres du parti lepéniste font de Mariani le rallié de service de leur liste de «rassemblement» aux élections de mai. Mariani aurait revu Le Pen cet été pour sceller le pacte et depuis, ils s'échangeraient des photos de chats par textos.
En fait, ce ralliement annoncé le même jour où Nicolas Dupont Aignan lançait sa «caravane des territoires» – un bus devant sillonner la France avec une grosse photo de Nicolas Dupont-Aignan dessus – pour préparer les prochaines élections européennes, démontre surtout que Laurent Wauquiez, président du parti Les Républicains, ne parvient même pas à convaincre la droite souverainiste et identitaire de son propre camp. «Il est illusoire de croire aujourd'hui que Laurent Wauquiez, que j'ai pourtant soutenu, puisse rétablir la situation. Il est prisonnier d'une contradiction interne insoluble entre son discours droitier et son refus de toute alliance à droite. On ne peut pas gagner une élection tout seul», explique Thierry Mariani, nostalgique du «programme du RPR des années 80 qui est celui du RN d'aujourd'hui. Et ce qu'on qualifie de "montée des populismes" est en réalité le réveil des peuples qui ne veulent pas mourir».
Marginalisés
Mariani a emmené l'ancien député de la Gironde, Jean-Paul Garraud, avec qui il avait fondé en 2010 la très droitière Droite populaire. L'inscription de ces deux noms sur une liste RN ne va pas chambouler la scène politique française : comme Mariani, Garraud était marginalisé à LR depuis des mois et malgré ses nombreuses tentatives, il n'avait même pas été investi pour les législatives de 2017. Mariani a quant à lui perdu face à une candidate LREM. Pour aussi anecdotique qu'il soit et sans grande conséquence non plus sur les équilibres internes de LR, le départ Mariani traduit bien la faiblesse d'une présidence Wauquiez qui rebute le centre de son parti sans parvenir à convaincre son aile droite.
Pour la première fois, surtout, et ce n'est pas rien, deux personnalités issues de la droite républicaine ont brisé le «cordon sanitaire» établi autour du FN dans les années 80 par Jacques Chirac, alors fermement opposé à toute alliance avec le mouvement de Jean-Marie Le Pen, auquel il sera confronté au second tour de la présidentielle de 2002. Pour Mariani, le vote de LR au Parlement européen sur les sanctions contre la Hongrie, en septembre, aurait été un déclic. «Cela a montré qu'à LR, il n'y a plus de corpus idéologique et que c'est comme à la Samaritaine de l'époque, on y trouve tout ce qu'on veut, et donc qu'il n'y a plus rien à en attendre. Wauquiez tient un discours disant qu'il faut défendre l'identité des Nations, mais dès qu'un pays le fait, la Hongrie, on le plante au sein de l'UE», a-t-il dit mercredi lors de sa conférence de presse. Avant de laisser les journalistes «migrer» chez Dupont-Aignan.
Quelques minutes plus tard dans le même arrondissement, au siège de Debout la France, se tenaient en effet les «vœux à la presse» du souverainiste, qui avait rallié Marine Le Pen dans l'entre-deux-tours de la dernière présidentielle. Et qui maintenant la joue solo, parce qu'à l'époque, ce n'était qu'une «union libre». Dupont-Aignan avait aussi proposé à Thierry Mariani de figurer sur sa liste aux européennes. Mais l'homme assure maintenant qu'il ne s'est «pas beaucoup battu pour», dit que «ceux qui veulent être ceci ou cela en étant sur une liste, ce n'est pas à la hauteur de l'enjeu». Le président de Debout la France ironise sur son ancien «compagnon», qui a compris «ce que j'avais compris il y a déjà dix ans» – lui-même était à l'UMP jusqu'en 2007.
Debout la «Ligue 2»
Le député de l'Essonne, qui mercredi a beaucoup critiqué le gouvernement et surfé sur la vague gilets jaunes – «Macron représente un pouvoir arrogant, qui sombre progressivement dans une forme de folie», «Macron ne peut pas changer de peuple, mais il peut changer de pays», «le grand débat national n'est qu'une baudruche qui est déjà en train de se dégonfler. C'est de la foutaise» –, sera tête de liste de son parti pour les européennes de mai, mais n'a pas encore dévoilé la liste en question. Comme cela devait être prévu au départ : l'homme est en train de chercher son gilet jaune à ajouter. Selon nos informations, en seront au moins Sylvie Goddyn, trente ans de Front national, eurodéputée virée en octobre du parti d'extrême droite pour avoir parlé à Marine Le Pen d'«union» derrière le patron de DLF ; Bernard Monot, ancien «économiste» du FN, qui a claqué la porte du parti en mai quand il a appris qu'il ne serait pas investi aux européennes ; Yasmine Benzelmat, conseillère régionale d'Ile-de-France, qui a quitté le Front en décembre 2017, avec deux autres élues dont Béatrice Troussard (qui a réintégré le parti depuis), parce qu'elle trouvait la formation «trop à gauche».
Tout cela a fait dire à Marine Le Pen que Nicolas Dupont-Aignan n'avait dans sa liste que les «déchets» du Rassemblement national, et à un de ses proches, qu'il s'agissait de la «Ligue 2» de l'extrême droite française.