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Analyse

Le RN parie sur un essoufflement de la liste «gilets jaunes» aux européennes

A quatre mois des élections de mai, le Rassemblement national de Marine Le Pen prend la nouvelle de l'arrivée d'une liste de «gilets jaunes» avec fébrilité, mais pense que ses nouveaux concurrents auront du mal à supporter la bataille politique.
Meeting de campagne du Rassemblement national au Thor (Vaucluse), samedi. (Photo Clément Mahoudeau. AFP)
publié le 24 janvier 2019 à 17h32

«Ça fait partie de la démocratie mais…» Le Rassemblement national (RN, ex-Front national) ne voit pas d'un très bon œil l'arrivée d'une liste de gilets jaunes dans la compétition pour les européennes du mois de mai : le scénario pourrait faire fondre les intentions de vote pour le parti d'extrême droite. Selon un sondage Elabe pour BFMTV publié mercredi, avant l'annonce de l'arrivée dans la campagne du «ralliement d'initiative citoyenne» (RIC, comme pour «référendum d'initiative citoyenne», revendication des gilets jaunes), la formation de Marine Le Pen n'obtiendrait «que» 17,5% des suffrages dans cette configuration, si l'élection avait lieu dimanche, en deuxième position devant la liste gilets jaunes (13%). La formation lepéniste serait surtout celle qui pâtirait le plus de la situation (3 points perdus), laissant LREM seule en tête à 22,5% (-1), alors que jusque-là RN et le parti présidentiel se disputaient la pole position, à quasi-égalité, et que le Rassemblement national bénéficiait d'une dynamique depuis le début de la contestation.

«Je ne suis pas dupe»

Preuve d'une certaine fébrilité, les cadres du parti n'ont pas attendu bien longtemps après l'annonce de la constitution de «RIC», embryon de liste menée par Ingrid Levavasseur, figure des gilets jaunes, pour tenter de décrédibiliser l'initiative. Invité ce jeudi matin sur France Info, la tête de liste du Rassemblement national pour les européennes, Jordan Bardella, a souligné que «beaucoup de gilets jaunes sont attachés à l'essence apolitique» du mouvement, alors que le député du Gard Gilbert Collard dénonçait une opération qui «sent le Macron macéré à la combine électorale». Le porte-parole de RN, Sébastien Chenu, dénonce lui aussi une initiative «liée à une manipulation politique. Parce que je ne suis pas dupe, j'ai vu que le directeur de campagne de cette liste vient du Parti socialiste». Chenu faisait référence au passé de Hayk Shahinyan, directeur de campagne de la liste gilets jaunes, qui fit un passage au MJS, branche «jeune» des socialistes, il y a huit ans. Ce que n'a pas manqué de noter non plus Marine Le Pen, d'autres se contentant de relayer les critiques de certains gilets jaunes sur Twitter et Facebook, qui voient dans la décision «une grave erreur», voire un «scandale» susceptible de «tuer le mouvement».

Le parti d'extrême droite a été le premier, avec Debout la France, formation de l'ancien soutien de Marine Le Pen à la dernière présidentielle, Nicolas Dupont-Aignan, à soutenir la contestation des gilets jaunes. Il affirme y voir depuis le début «des gens qui ressemblent à [ses] électeurs» et tente de réaxer ses revendications, qui tournent beaucoup autour du pouvoir d'achat, vers les questions migratoires. RN surfait jusqu'à présent sur la vague avec sérénité, laissant ses cadres appeler «à titre personnel» à participer aux manifs, d'autant plus qu'elles lui bénéficiaient dans les sondages d'opinion. Peu après l'annonce des douze premiers noms de sa liste pour les européennes, le 13 janvier à Paris, un proche de Marine Le Pen expliquait ainsi comment les candidats RN «sont tous gilets jaunes», lançant comme une formule : «Il y aura 80 gilets jaunes sur notre liste.» Et critiquant au passage la volonté d'un Florian Philippot (ex-FN) ou d'un Dupont-Aignan de «tenter» d'inscrire des figures connues des gilets sur leur liste. «Certains pensent qu'en mettant des gilets ils vont se le mettre dans la poche. Mais les gilets jaunes sont indifférents à cela», expliquait un cadre du Rassemblement national, certain que les européennes «vont se transformer en référendum anti-Macron».

Mais l'irruption de la liste RIC a depuis quelque peu rebattu les cartes, et le discours du RN a évolué. La même source lepéniste dit maintenant : «Nous, on est toujours gilet jaune, mais on est gilet jaune contre l'immigration, parce que ça permet aux patrons de baisser les salaires. Chacun est gilet jaune pour ses convictions.» Et le même d'affirmer que la liste des «gilets» devra «bientôt clarifier ses positions. Et là, ça va devenir compliqué. Parce qu'ils vont être mis à l'épreuve».

«Guerre»

Parce que les européennes n'auront lieu que dans quatre mois, le Rassemblement national, déjà en campagne, espère un essoufflement de son nouveau concurrent : «C'est plus facile quand on parle de revendications transcourants, de justice sociale. Mais quand on entre dans le jeu politique, on doit se décider, se déterminer. Que pense Mme Levavasseur de l'immigration par exemple ? De la Commission européenne ? Je ne suis pas sûr que ses positions ne fassent pas polémique au sein des gilets jaunes : ils vont trouver qu'elle est "trop" ou "pas assez"», s'avance un élu RN, avant d'ajouter «nous, on est identifiés, et on est sûrs de nos idées». Un autre cadre lepéniste lance en guise d'avertissement : «La politique, c'est la guerre. Ce n'est pas une promenade de santé. Certains se font broyer, surtout ceux issus de la société civile.» Méthode Coué ?