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Analyse

Union des droites : une tentation plus locale que nationale

Les déboires de LR font renaître au RN l’espoir d’une recomposition, comme l’atteste la création d’Alliance pour la France. Mais seuls des débauchages individuels semblent possibles.
Marion Maréchal à Lyon, vendredi, lors d’une conférence de presse. (Photo Bruno Amsellem)
publié le 14 juin 2019 à 19h56

On appelle ça le langage performatif. Depuis les européennes, les partisans d'une alliance des droites dure et extrême appellent à l'union, comme si à force de le répéter, la magie allait opérer. Quelques instants après la démission de Laurent Wauquiez de la direction du parti Les Républicains (LR), Marion Maréchal dégaine : «Ce que je crois indispensable, c'est que demain puisse émerger, je l'espère, de cette débâcle des Républicains, ce courant de droite qui se structure, qui puisse demain accepter le principe d'une grande coalition avec le Rassemblement national.»

Le lendemain, le père de l'ex-députée, Samuel Maréchal, et Arnaud Stéphan, son ancien conseiller, annoncent la création d'Alliance pour la France, genre de site de rencontres des droites. Et deux jours plus tard, c'est Emmanuelle Ménard, députée apparentée Rassemblement national (RN) et épouse du maire de Béziers, qui appelle à «construire cette union», à ses yeux la «seule voie si nous voulons arriver au pouvoir».

Hormis quelques transfuges vite condamnés, le cordon sanitaire a jusqu'ici tenu. Mais cette fois, l'affaiblissement de LR autorise l'espoir dans les rangs frontistes. Les macronistes tirent sur la jambe gauche du parti, la droite dure peut attaquer l'autre. «A droite, il y a une force centriste et l'autre héritière du RPR qui tenaient ensemble à l'UMP mais se fragmentent aujourd'hui, analyse Jean-Paul Garraud, passé de LR au RN. Nous avons donc un rôle à jouer avec Thierry Mariani. Je demande qu'on puisse discuter.»

Voici donc l'argumentaire de la «droite hors les murs» à nouveau déballé : il y a la référence à Dreux en 1983 - preuve que l'alliance était déjà possible entre RPR et FN -, l'allusion au programme commun de la gauche dans les années 70 - comprendre «s'ils ont pu s'entendre malgré des divergences, pourquoi pas nous ?» - ou l'affirmation d'un rapprochement idéologique. «Quoi qu'en disent Les Républicains, quelles différences y a-t-il entre les positions d'un Ciotti et d'une Marine Le Pen sur l'immigration ?» interroge Robert Ménard.

Copie

La digue entre droite traditionnelle et droite extrême est en effet de plus en plus poreuse, conséquence de la droitisation lancée sous Nicolas Sarkozy, mais aussi de la recomposition politique provoquée par l’élection d’Emmanuel Macron. Ce dernier ayant siphonné le versant libéral de la droite, LR s’est concentré sous la houlette de Wauquiez sur des thèmes chers au FN, allant jusqu’à mener sa campagne européenne sur l’idée d’une bataille civilisationnelle.

Dans ces conditions, les cadres du RN se gargarisent de leur bon score, qui prouve une fois de plus, selon eux, que l'original l'emporte sur la copie. «A LR, ils vont finir comme l'UDI à 2,5 %», menacent les partisans de l'union des droites.

Mais la pièce maîtresse de l'argumentaire est bel et bien l'opposition, théorisée, entre cadres du parti et base électorale. Selon le RN, les électeurs sont déjà prêts pour l'union. «Elle existe déjà à la base, dans des petites villes où des élus de droite sans étiquette travaillent ensemble ou dans les centaines d'associations patriotiques qui organisent des débats, des dîners», avance Arnaud Stéphan. Seuls les dirigeants LR seraient encore «terrorisés par la gauche», capable de ressusciter et faire tenir le cordon sanitaire.

Sauf que selon un sondage Ifop, seuls 24 % des sympathisants LR pensent que l'avenir du parti passe par un accord avec le RN. «L'électorat républicain est légitimiste, décrypte le politologue Jean-Yves Camus. Les cadres, c'est fondamental pour attirer les électeurs. Or qui, chez Les Républicains, plaide pour une alliance ?» Aujourd'hui, personne. Même si certains tiennent un discours parallèle sur l'immigration, l'économie et le rapport à l'Union européenne, ça bloque encore et toujours. Selon un bon connaisseur de LR, «à part quelques excités, les Républicains, qui ont été élus contre le RN, vont plutôt aller vers le centre».

Depuis la débâcle des européennes, la tendance en effet est plutôt au recentrage toute chez LR. Cofondateur de l'association La Droite populaire, avec Jean-Paul Garraud et Thierry Mariani, le député Eric Diard évacue donc cette idée de rassemblement : «Pas un député n'est tenté par cette alliance. L'union des droites, c'est avec l'UDI.»

Arlésienne

«Marine Le Pen ne sait pas parler aux gens de droite», attaque Bruno Larebière, journaliste à l'Incorrect, mensuel proche de Marion Maréchal. Elle-même ne s'inscrit pas dans l'histoire de cette famille politique. Pour la présidente du RN, qui dénonçait en 2018 cette arlésienne de l'union des droites, le clivage gauche-droite est dépassé. Le duel opposerait désormais «mondialistes» et «souverainistes» ce qui nécessite de parler à tout le monde, droite comme gauche. Pas question de s'engager dans des négociations partisanes qui l'obligeraient à infléchir sa ligne. Si des Républicains veulent venir à elle en revanche, la porte est ouverte.

«Le RN a besoin de partis satellites, c'est notre stratégie», assume d'ailleurs un conseiller de la présidente. Pour les adeptes de la «droite hors les murs», c'est là tout le problème. «Il ne faut pas des vassaux mais des alliés, juge Robert Ménard. Cela ne suffit pas de débaucher des gens ou de les agréger dans une structure comme le Rassemblement bleu marine qui n'était rien de plus qu'un cache-sexe du FN. Il faut une vraie politique d'alliance.» Le maire de Béziers ne se fait pas d'illusion : «Je ne crois pas un instant qu'on mettra à la même table Marine Le Pen et le successeur de Wauquiez.» «Au niveau national c'est perdu, admet également Arnaud Stéphan. Tout va se jouer au niveau local.» La bataille des municipales peut commencer.