Ça alors, Marion Maréchal est d'extrême droite ! Et on ne nous avait rien dit. Quelle découverte pour tant de médias et commentateurs ! Faut-il y voir de leur part un péché de naïveté, un manque de recul, une paresse intellectuelle ou un brouillage complet des repères ? Les journalistes qui se sont précipités le 28 septembre vers la bien mal nommée «convention de la droite» à Paris en sont revenus pour la plupart horrifiés. Normal, ils n'ont entendu que des horreurs, qui d'habitude restent diffusées dans un cercle limité. La nouveauté, c'est que LCI a diffusé en direct les «dérapages» d'Eric Zemmour. Mais qui peut s'étonner de ses propos ?
Oui, Zemmour et Maréchal sont d’extrême droite, et voient dans chaque musulman au mieux un envahisseur, au pire un terroriste. Mais le génie des organisateurs a été de nommer cette journée «convention de la droite». L’auraient-ils appelée, comme elle le méritait, «convention de l’extrême droite», que peu de médias s’y seraient rendus. Mais comme la droite est en totale capilotade, qu’elle se cherche de nouvelles têtes et que celle de Maréchal passe bien sur les écrans, nombre de journalistes ont complaisamment relayé la proposition tricotée par la petite-fille de son grand-père : oui, elle peut créer un pont entre les droites. Est-ce réaliste ?
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Il faudrait que ses thèmes parlent à l’oreille d’une majorité, ce qui est loin d’être prouvé. Maréchal fait un pari : positionnée plus à l’extrême droite que sa tante, elle se dit que le bon peuple de droite, celui qui ne goûte pas Macron, finira par se rallier à son étendard parce qu’elle a des convictions bien ancrées et s’y tient contre vents et marées. Maréchal table sur le glissement progressif des électeurs de droite vers l’extrême, ce qui est loin d’être idiot : de Sarkozy avec son débat sur «l’identité nationale» au récent positionnement ultra de Wauquiez, les grosses têtes de la droite font tout pour lui préparer le terrain. Reste une question : le terrain est-il mûr ?
«Surcouverture»
Pas sûr, mais Maréchal fabrique du désir, voire des fantasmes. Elle a quelque chose à dire et le dit bien. Elle a une marque, un style et du mordant, un cerveau qui fonctionne et un formidable atout : les médias l’adorent. Elle bénéficie d’une «surcouverture» démesurée depuis son «retrait» de la politique en 2017. Le moindre de ses mouvements provoque un écho sans rapport avec leur intérêt. L’ancienne députée FN de Vaucluse n’est que directrice d’une école à Lyon dont tout le monde se contrefiche. Selon les critères du journalisme, elle devrait être rangée sur la quatrième étagère au fond très à droite, dans la catégorie «jeune has been» dont le retour méritera d’être disséqué le jour où il aura débuté.
Mais Maréchal se garde bien de se lancer. En fine politique, elle sait qu’il n’y a que des coups à prendre sur ce segment de la droite extrême. Car ceux qui lui font les yeux doux aujourd’hui seront les premiers demain à lui planter des couteaux dans le dos, une des grandes spécialités de cette mouvance. Avec ses 29 ans, elle peut sauter son tour pendant plusieurs échéances. En attendant, elle savoure la période et doit être bien en peine d’expliquer pourquoi on lui déroule autant le tapis rouge. Mais elle aurait tort de ne pas en profiter.
Surchauffe permanente
Ce sont les médias qui doivent se poser des questions. Quand on travaille sur l’extrême droite, il y a deux écueils à éviter, la banalisation et l’hystérisation. On passe constamment de l’un à l’autre, tant il est difficile de conserver de la nuance dans ce métier qui carbure à la surchauffe permanente. L’information est un moteur à explosion : faut que ça pète, que ça envoie. Marion Maréchal ? Mets-la en boucle, coco, ça attire le chaland.
Paradoxe, et piège ultime : ceux qui veulent la dénoncer lui assurent aussi une grande publicité. La règle prévaut depuis que Jean-Marie Le Pen est devenu en 1984 un acteur majeur de la scène politique avec ses 10 % aux élections européennes. Il a ensuite utilisé à merveille ces médias, pour la plupart hostiles, qui, dans le souci d’alerter sur sa dangerosité, ont contribué à la montée de son audience. Le Pen a vite compris que toute publicité, même négative, vaut mieux que de tomber dans les oubliettes de l’info, et ses nombreux dérapages visaient à le maintenir sur les écrans. Le côté antisémite en moins, sa fille et sa petite-fille utilisent les mêmes ficelles, et qui pourrait leur jeter la pierre ? Elles sont dans leur rôle. Les responsables, ce sont les médias qui oublient de réfléchir. Il n’est jamais trop tard pour apprendre de ses erreurs.