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Analyse

Immigration : Macron s’enfonce tête baissée

Alors que se déroule ce lundi à l’Assemblée nationale un débat sur «la politique migratoire de la France», la stratégie du chef de l’Etat, déterminé à disputer à l’extrême droite ses «fondamentaux», crispe jusque dans son propre camp.
Des barbelés empêchant les réfugiés de s’abriter sous un pont, à Calais, le 9 juillet. (Photo Aimée Thirion)
publié le 6 octobre 2019 à 20h36

L'encre a-t-elle eu le temps de sécher sur la loi asile et immigration ? Promulgué en septembre 2018, le texte se proposait de mieux intégrer les migrants admis en France mais surtout d'expulser plus promptement les autres. A peine un an plus tard, l'exécutif remet ça : Edouard Philippe doit ouvrir ce lundi un débat parlementaire qui devrait devenir annuel, prélude à un effort identique, législatif ou réglementaire. Après un premier «plan d'action» présenté en juillet 2017 et la loi Collomb, c'est la troisième fois depuis son élection que le chef de l'Etat marque sa volonté de mieux «maîtriser les flux migratoires». Ne craignant pas de se montrer sur ce sujet plus allant qu'une partie de ses troupes. Ni de consterner certains de ses soutiens jusqu'au sein de ce qui fut son premier cercle.

«M. Macron, votre politique contredit l'humanisme que vous prônez !» s'indignait, avec d'autres, l'économiste Jean Pisani-Ferry, responsable du programme du candidat Macron, dans une tribune publiée par le Monde dès janvier 2018. Avocat proche du chef de l'Etat, François Sureau voyait fin septembre dans ce débat parlementaire «une figure absolument classique du ballet de la Ve République» qui aurait comme débouché un énième «tripatouillage par l'agent Tartemolle de la circulaire 4 pour donner l'impression que la législation devient raisonnablement xénophobe».

«Radicaux»

Ceux-là préféraient le chef de l'Etat dans le registre de ses débuts : celui d'un champion de la «société ouverte», qui avait jugé en 2015 puis pendant sa campagne présidentielle que Merkel avait sauvé «la dignité de l'Europe» en accueillant plusieurs centaines de milliers de réfugiés au plus fort de la guerre en Syrie. Un ton cohérent avec la base politique du premier macronisme, largement composée d'anciens socialistes. Dans les rangs macronistes, on ne manque pas, à l'inverse, de rappeler que le candidat n'a pas caché son jeu. Ses engagements à garantir le droit d'asile, à mieux accueillir et davantage intégrer les migrants légaux, étaient systématiquement suivis d'une autre promesse : celle de reconduire les autres «sans délai vers leurs pays». En mars 2017, il promettait dans le magazine protestant Réforme de faire accepter, à leurs pays d'origines, le «retour des migrants qui n'ont pas de raison légitime de rester chez nous». Avoir largement défait Marine Le Pen au second tour de la présidentielle n'a pas détourné le chef de l'Etat de cette approche, au contraire : en août 2017, à peine élu, il évoquait à Orléans les migrants qui «de plus en plus, viennent de pays sûrs, suivent les routes de migration économique». Pour ceux-là, ajoutait-il, «nous devons être rigoureux et parfois intraitables».

Depuis son élection, Macron n'a donc cessé de s'en convaincre : sur l'immigration, c'est du côté de l'intransigeance que pencherait une majorité de Français, tous bords confondus. «Cela fait un moment qu'il nous en parle, témoigne un membre du gouvernement. Parce qu'il a fait l'itinérance mémorielle [un long déplacement dans le nord-est de la France fin 2018, ndlr] et le grand débat, et que les gens lui en parlaient». Le chef de l'Etat aurait alors constaté, ajoute une autre source ministérielle, que «sur le terrain, il n'y a pas de clivage sur ce sujet. D'ailleurs, dans les sondages réalisés au moment de la loi Collomb, les résultats étaient assez radicaux, quelle que soit la proximité politique». Pourtant, selon Jérôme Fourquet, patron de l'institut Ifop, «l'hypothèse que l'opinion publique serait devenue plus sensible à cette question est fausse. Elle est stable depuis quinze ans». Qu'importe : Macron semble désormais convaincu qu'ignorer le sujet ne lui vaudrait aucun crédit alors que le traiter pourrait élargir l'assise d'un macronisme encore largement confiné aux élites sociales. «Le choix qui nous est posé, c'est de savoir si nous voulons être le parti bourgeois ou pas […]. Les classes populaires vivent avec ça», a-t-il ainsi lancé devant les parlementaires de son parti fin septembre.

«Fondamentaux»

Que Macron pose là les fondations de sa prochaine campagne présidentielle, «c'est évident, estime un important élu macroniste. Il sait qu'il ne sera pas jugé sur ses résultats économiques, même s'ils sont bons». Pour un autre, «la situation est analogue à celle de 2002 : la croissance, le pouvoir d'achat et l'emploi sont au vert. Mais il y a une sensibilité très forte sur l'immigration et la sécurité. Macron a donc raison de penser que la présidentielle se jouera sur le régalien». Le Président compte au passage embarrasser ses oppositions : une extrême droite à qui il veut disputer ses «fondamentaux» sans, assure-t-il, imiter ses outrances ; une droite dont une partie de l'électorat s'est déjà tournée vers lui ; et une gauche jugée fragile, voire absente, sur ces sujets. Pour Jérôme Fourquet, avec ce coup de projecteur sur l'immigration, le Président voudrait surtout «arrimer des gens de droite venus à lui, vers le parti de l'ordre, pendant l'épisode des gilets jaunes. Ces gens-là, il ne faut pas les perdre. Parler immigration est aussi une façon d'empêcher LR de les reprendre et de reprendre pied». Mais en faisant ça, «Macron se coupe du vote de gauche, et en même temps valide des thèses d'extrême droite, analyse Vincent Tiberj, professeur à Sciences-Po Bordeaux. Les gens susceptibles de voter pour lui sont a priori plutôt pour le multiculturalisme et ils ont, en partie, voté pour lui contre Le Pen. Son calcul est mauvais parce que, stratégiquement, l'immigration est un des derniers marqueurs de gauche».

Du coup, c’est l’unité de son propre camp qui pourrait être mise à l’épreuve puisque le malaise est palpable chez une partie des députés, majoritairement issus de la gauche. Et si l’entourage d’Edouard Philippe dément tout écart de fond entre le chef de l’Etat et le Premier ministre, ce dernier est réputé plus prudent que l’Elysée sur la question, dans l’expression au moins. Issu de LR, le juppéiste y fut le témoin écœuré de la dérive identitaire du parti. Auprès des députés LREM, il a récemment plaidé pour un débat rationnel et serein. Redoutant qu’un vocabulaire mal maîtrisé n’alimente le sentiment xénophobe.