Interrogez n'importe quel cadre du RN en ce moment sur la stratégie du «face-à-face» revendiquée par Macron pour, pense-t-il, s'assurer une victoire à la prochaine présidentielle dans un remake du deuxième tour de 2017, et vous obtiendrez à chaque fois cette réponse : «Son idée est la bonne… pour nous !» Au sein du parti d'extrême droite, on estime que pointer leur présidente en seule adversaire à battre, comme le proclame le chef de l'Etat, valide de fait l'idée qu'elle est la seule opposante crédible au gouvernement - quand Jean-Luc Mélenchon (LFI) ou le patron de LR revendiquent aussi ce statut.
Sortie de route. «Marine Le Pen ne s'en plaint pas», s'amuse-t-on dans sa garde rapprochée. Elle qui martelait, depuis le second tour de la présidentielle, que le rôle devait lui revenir de droit en tant que finaliste, parce que «les Français l'ont choisie», en a d'ailleurs fait l'argument principal de la campagne de sa formation aux dernières européennes, où le Rassemblement national a terminé en tête : «Voter pour le RN, c'est voter contre Macron.» La mise en scène du match «patriotes» contre «mondialistes» (quand la macronie pointe un combat, mondial, entre les «nationalistes populistes» et les «progressistes»), devrait aussi servir pour les élections à venir, jusqu'en 2022, «si l'ambiance est toujours au dégagisme», prévoit un proche de Le Pen. Elle-même martèle dès qu'elle en a l'occasion que Macron «n'aime pas la nation», qu'«il est d'un autre monde» et qu'«il casse la France».
Au sein de l'ex-FN, on part du principe qu'avec son idée de duel permanent, le locataire de l'Elysée finira par se planter. «Il fait la même erreur avec Le Pen que Sarkozy avec Hollande en 2012. Quand il a pensé que [le socialiste] était tellement nul que les gens ne voteraient jamais pour lui, Sarko ne s'était pas rendu compte à quel point les Français n'en pouvaient plus de le voir. Il avait oublié que dans une présidentielle, à la fin, les gens votent toujours contre. Alors ils ont voté contre lui, et c'est Hollande qui a gagné, analyse un élu mariniste du premier cercle. Macron croit qu'il est intellectuellement supérieur à Le Pen, sans mesurer combien les gens le détestent.» Ces temps-ci, les sondages décrivent plutôt une dynamique côté Le Pen, qui a cicatrisé depuis sa sortie de route du débat d'entre-deux-tours de la présidentielle, quand le chef de l'Etat continue, lui, de stagner dans les enquêtes d'opinions même s'il a repris quelques couleurs par la droite depuis le plus fort de la crise des gilets jaunes.
«Soleil». La dernière séquence - celle du débat sur l'immigration, de l'hystérie sur le voile, de l'interview musclée du chef de l'Etat dans Valeurs actuelles et de la manifestation contre l'islamophobie - a-t-elle bénéficié en premier lieu au parti d'extrême droite ? «Evidemment, pense un lepéniste. Ils ont voulu récupérer nos électeurs mais ça n'a pas très bien réussi.» Dans la même optique, le RN compte tirer profit de la tension sociale actuelle, avec la journée de mobilisation du 5 décembre. La présidente du parti aurait ainsi annulé un déplacement aux Antilles prévu quelques jours plus tard pour «ne pas commenter la galère dans les transports sous le soleil de Pointe-à-Pitre», selon France Inter. Comme l'a annoncé leur patronne, plusieurs cadres du RN manifesteront contre la réforme des retraites - une initiative dénoncée par le leader de la CGT, Philippe Martinez.
Au RN, on anticipe une poursuite de ce duel à distance. «Avec un LR agonisant et un LFI se radicalisant, Macron n'a pas d'autres choix que de se confronter à Le Pen, puisqu'il ne reste plus qu'elle», souligne un cadre. Qui attend avec gourmandise le tunnel de scrutins à venir, avec les municipales de 2020 puis les départementales et les régionales en 2021, en espérant qu'elle contribue à «clarifier» la situation politique : «Une partie de LR va se faire absorber aux municipales, puis le reste va godiller, parfois à LREM, parfois au RN, pour tenter de garder ses régions. A la fin, il ne restera que nous et Macron.» Un élu ajoute : «La prochaine présidentielle n'est pas du tout écrite. La seule certitude, c'est que Marine Le Pen sera au second tour.» Un autre : «Entre-temps on va se rendre compte que cette fois, elle peut gagner.»