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Analyse

Pourquoi le RN échoue à profiter de la crise du Covid

Certaine que si elle était au pouvoir les choses seraient bien différentes, Marine Le Pen peine à en convaincre les Français, qui ne goûtent pas à son refrain de la menace migratoire comme vecteur de la pandémie.
Marine Le Pen en 2015 à Nanterre (Hauts-de-Seine). (Photo Matthieu Alexandre. AFP)
publié le 21 mai 2020 à 10h06

Le Rassemblement national ne tire encore aucun profit de la pandémie de Covid-19, mais espère toujours que sa stratégie de critique systématique du gouvernement dans sa gestion de la crise finira par payer. La formation d'extrême droite a pourtant échoué à imposer ses thèmes pendant l'épisode du confinement, mais ses cadres estiment quand même que l'heure viendra où l'opinion se tournera vers elle pour chercher une alternance. «Il n'y a rien d'automatique, mais quand la crise sera passée, il faudra analyser les défaillances de l'Etat, et nous serons là. Il s'agit d'un enjeu pour l'avenir», anticipe l'un d'eux.

Pour l'instant, Marine Le Pen est en dents de scie dans les sondages d'opinion depuis le début de l'épisode sanitaire : début avril, alors qu'elle accusait la majorité de «mentir sur absolument tout», notamment l'acheminement des masques, voyant des «scandales d'Etat» partout, taxant d'«incompétent» tout le monde au gouvernement, contre toute idée d'unité nationale, l'ancienne candidate à la présidentielle avait perdu 3 points, selon un sondage Elabe pour les Echos. Elle devenait alors la «personnalité politique dont la cote de confiance avait le plus reculé». La même Marine Le Pen a récemment repris 3 points, toujours selon Elabe.

En mars, Marine Le Pen avait aussi perdu sa place dans le top 25 des personnalités politiques les plus appréciées des Français, établi tous les mois par l'Ifop. Elle n'y est aujourd'hui pas revenue. Selon le JDD, qui cite le même institut, elle apparaît encore, avec Jean-Luc Mélenchon, comme la personnalité «la moins fiable face à la crise» : 41% des Français consi­dèrent qu'elle fe­rait moins bien que le gouvernement actuel pour gérer le coronavirus. Elle arrive toutefois paradoxalement aussi en tête dans la catégorie «ferait mieux», à seulement 20%. Elle dispose donc d'un noyau mais «la pos­ture tri­bu­ni­tienne pen­dant une pé­riode de crise in­ouïe a du mal à pas­ser, analyse Fré­dé­ric Dabi, directeur du pôle opinion à l'Ifop. Les Fran­çais sont plus dans une lo­gique d'unité au­tour de la sta­bi­lité du pou­voir. Même si les dis­cours de Marine Le Pen sur les men­songes du gou­ver­nement trouvent un écho, on ne lui confie pas pour au­tant les clés du ca­mion.»

Au RN, on est obligé de tirer ce mauvais bilan d'étape : pour l'instant, sa posture est mal perçue par les électeurs. «C'est un peu normal que pendant la crise, on observe un réflexe légitimiste. Mais on finira par en tirer le bilan. Après, quelle forme cela prendra…», dit-on au siège. Un proche de Marine Le Pen ose : «On est obligés d'être dans l'opposition, mais on n'est pas dans une posture cynique : on ne fait pas cela pour en profiter électoralement. Bien sûr que l'on souhaite que le gouvernement réussisse.»

«Livre noir»

Le mouvement d'extrême droite attend d'autant plus la «sortie de crise» qu'il a passé son temps confiné à préparer son «observatoire des mensonges du gouvernement», sorte de «livre noir» de la crise : «Il y a du bidouillage dans tous les sens. Des fautes ont été commises à tous les étages. On a des choses à dire et on les dira !» explique un conseiller de la présidente du RN. Lequel parie que «le pays va être effondré. Cela va avoir le même effet que la guerre de 14». Avec derrière, bien sûr, des visées électoralistes : «Le grand débat idéo­lo­gique se fera à l'aune de la crise», explique-t-on, présidentielle 2022 à l'horizon.

Car, à écouter Marine Le Pen, elle au pouvoir, la France aurait fait mieux contre le Covid, tout était d'ailleurs prévu dans son programme : «S'il avait été mis en œuvre, nous serions mieux armés qu'aujourd'hui où, objectivement, nous sommes à poil.» Ainsi, la dirigeante d'extrême droite ressort sa vieille antienne de la fermeture des frontières. «Nous allons devoir fermer nos portes pendant des mois et des mois pour éviter une deuxième vague d'épidémie», a-t-elle récemment argué, justifiant ses propos avec cette image : «La frontière, c'est comme la peau, elle sert à laisser passer ce qui est bon et empêche ce qui est mauvais.»

Problème pour Marine Le Pen : son refrain de la menace migratoire comme vecteur de la pandémie n'a (pour l'instant) pas pris dans les esprits. Pour la simple et bonne raison qu'il ne s'est vérifié nulle part. Même si l'ancienne candidate à la présidentielle a pu arguer que «puisque nous avons été obligés de toucher aux frontières, cela prouve qu'il est possible de les fermer, et même que c'est souhaitable», le politologue spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus note que «la rapidité avec laquelle la pandémie s'est propagée sans aucun lien avec les flux migratoires a totalement invalidé l'exploitation du thème de l'immigration comme vecteur de maladie», écrit-il dans une récente note pour la Fondation Jean-Jaurès.

De fait, l'extrême droite n'a pu utiliser son argument que sous la forme «d'une dénonciation du supposé non-respect du confinement dans certains quartiers à forte population immigrée» pour mettre en cause des jeunes de banlieues, d'origine étrangère et de confession musulmane, «décrits comme n'ayant aucun souci de la santé collective et de l'intérêt général», ajoute Camus. Alors que le déconfinement à commencé, il lui faudra trouver autre chose.