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récit

Steve Bannon, une bulle médiatique aux pays des populistes

En tournée européenne et courtisé par les médias, l’ex-conseiller stratégique de Trump a pourtant perdu de son influence et ignore tout du Vieux Continent.
Lors du discours de Steve Bannon, au congrès du Front national, en mars 2018 à Lille. (Photo Denis Allard. Réa pour Libération)
publié le 21 mai 2019 à 21h06

La critique émane de la correspondante en France du célèbre quotidien allemand Faz Michaela Wiegel, qui, en résumé, s'interroge : «Pourquoi les médias français courtisent-ils à ce point le soi-disant idéologue Steve Bannon, alors que l'autoproclamé conseiller en chef des mouvements populistes d'Europe n'a aucune autre influence que celle que lui-même veut se donner ?» Mystère… Et de citer pêle-mêle le passage chez Jean-Jacques Bourdin, lundi sur RMC, où le pape déchu de l'alt-right et conseiller congédié de Donald Trump aurait été courtisé «comme un prophète qui vient expliquer aux Français ce qui se passe dans leur pays» ; l'interview dans le JDD dimanche ; une autre dans le Parisien la veille ; la une du Point

«Zéro»

Selon Michaela Wiegel, il suffirait que le «populiste» s'installe dans une suite à plus de 2 000 euros au Bristol à Paris pour que les journalistes y fassent la queue et lui déroulent le tapis rouge. Et ce alors que Marine Le Pen, qui s'est affichée à ses côtés lors d'un congrès «refondateur» du FN (devenu ce jour-là RN) l'année dernière, vient encore de rappeler qu'il n'a «pas vocation à intervenir» dans la campagne pour les européennes. Un très proche de la présidente du parti d'extrême droite précise : «Bannon, je l'ai rencontré au congrès, puis je ne l'ai plus jamais revu. C'est bien la preuve qu'il a zéro influence. D'abord, il n'a aucune connaissance du pays, ne connaît pas nos subtilités politiques, ni en France ni en Europe.» Et d'assurer : «Penser qu'on puisse avoir besoin de lui, c'est mal nous connaître.» Ce proche précise que Bannon a atterri en Europe alors que l'extrême droite avait déjà le vent en poupe.

Bannon s'est malgré tout piqué d'occuper l'espace médiatique en France tandis que Marine Le Pen et Matteo Salvini organisaient un meeting commun en Italie avec leur future «coalition» des extrêmes droites au Parlement européen… où l'ex-conseiller de Trump n'a tout simplement pas été invité. Marine Le Pen en a rajouté : «Ceux qui l'intègrent dans la campagne, c'est vous les médias.» L'«Américain» viré en janvier 2018 du site ultraconservateur Breitbart bénéficierait-il en France d'une bulle médiatique ? Peut-être, mais il n'y a pas qu'ici… Fin mars, l'homme a eu droit à une certaine couverture à l'occasion d'une conférence à la bibliothèque Angelica à Rome. Evénement organisé par une obscure association «contre le politiquement correct» et pour les «informations non homologuées». Malgré son répertoire usé, ses considérations politiques confuses sur l'Europe, et sa théorisation des fake news, Bannon s'est fait traiter comme un ministre. Deux camions de police et vingt policiers s'étaient postés devant les lieux, et à l'intérieur, la salle était pleine de journalistes. «Pour s'asseoir, il fallait contourner un épais barrage de caméras», explique l'hebdomadaire Internazionale, qui a relaté les coulisses de ce «monologue de quarante minutes rempli de tous les éléments de langage du populisme international». Tout cela pourrait être la conséquence d'une stratégie mise en place par Bannon et son associé belge Mischaël Modrikamen, à l'origine de The Movement, l'association politique montée pour tenter de peser sur le cours des élections européennes. Et, à plus long terme, intégrer les cercles populistes de l'UE.

Fusée

Modrikamen est un avocat qui essaye depuis des années d'exister en politique. Grand admirateur de Trump, il lui avait dédié une vidéo de soutien en 2016. Après la victoire du candidat républicain, il a adressé une note à son équipe dans laquelle il lui a «expliqué qu'après le Brexit, le "mouvement" doit devenir mondial». Ainsi serait né le projet de cette fondation. En réalité, il s'agit plus modestement d'une tentative d'occuper l'espace médiatique en exploitant le flou du projet et la renommée sulfureuse de Bannon. Modrikamen a en effet expliqué que The Movement devait être un simple «lieu de rencontre des souverainistes», alors que Bannon nourrissait une ambition beaucoup plus démesurée. Mais le Belge reconnaît aujourd'hui que la fusée n'a dans les deux cas pas eu le décollage escompté. A l'instar d'un happening inaugural maintes fois annoncé, et toujours reporté.

L’ex-gourou de Trump avait par ailleurs annoncé en 2018 vouloir ouvrir une école pour former l’élite populiste européenne dans le monastère de Trisulti, niché dans les forêts de chênes des montagnes Herniques, à 100 kilomètres au sud-est de Rome. Un an plus tard, le projet est toujours au stade embryonnaire, alors que les opposants locaux continuent de réclamer la révocation de la concession obtenue avec un autre associé, le très conservateur Britannique Benjamin Harnwell.

Pourquoi donc le Rassemblement national s'est-il montré avec Bannon à l'époque du congrès ? «C'était à un moment où c'était un peu compliqué pour Marine Le Pen, assure un des proches de la patronne du RN, quand on nous disait isolés. Désormais, elle enchaîne les déplacements en Europe [chez les nationalistes estoniens, bulgares, ndlr]. Cela prouve qu'on a renversé la vapeur.» Et que, finalement, l'«Américain» leur a quand même servi à quelque chose.