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Libération
Extrême droite

Municipales : les maires imaginaires du Rassemblement national

Le parti d'extrême droite s'est félicité après l'élection de quinze maires, dimanche. Parmi eux, plusieurs affirment ne pas avoir été investi par le RN, quant d'autres affichent un soutien flou. Marine Le Pen a reconnu une «erreur».
Marine Le Pen, le 1er mai à Paris. (Photo Alain Jocard. AFP)
publié le 3 juillet 2020 à 19h47

Le Rassemblement national s'est inventé des victoires au soir du second tour des municipales, portant fictivement son nombre de maires à 15. Mais deux candidats élus le 28 juin ont depuis dénoncé la chose : ils n'étaient ni investis ni soutenus par le RN. Pour d'autres, l'appartenance au mouvement d'extrême droite apparaît très lointaine, et alors que la méthode de «soutien» de l'ex-FN pendant le scrutin apparaît contestable, Marine Le Pen a parlé d'une «erreur du service de communication qui s'est fondé sur un tweet d'un journaliste».

Résultat médiocre pour le parti

Dans un mail intitulé «le plafond de verre est brisé !» daté du 30 juin, et envoyé à sa base adhérente, le RN avait vanté la «campagne courageuse dans un contexte sanitaire difficile» de ses «nouveaux» élus. «Dimanche dans plusieurs villes, lors du second tour des élections municipales, les Français ont fait le choix de refuser le "front républicain" et de briser le "plafond de verre"», peut-on encore y lire. Le texte reprend les éléments de langage répétés par Louis Aliot après son élection à la mairie de Perpignan, dimanche. Seule victoire importante du Rassemblement national, dans des municipales 2020 au résultat médiocre pour le parti. S'il a fait réélire sept de ses dix maires de 2014, il a divisé son nombre de conseillers municipaux par deux, perdu Mantes-la-Ville (Yvelines) et Le Luc (Var), gagnant trois villes au passage. Ils sont aujourd'hui dix, si l'on compte Robert Ménard, à Béziers.

«Perpignan, Moissac, Bruay-la-Buissières, Bédarrides, Mazan, Morières-lès-Avignon, Brebières, Pia… Partout, les nouveaux maires du Rassemblement National», est-il écrit dans le mail du RN. Avec un montage photo montrant les futurs édiles, visage souriant. Sauf que, pour au moins deux villes, à Brebières, dans le Pas-de-Calais, et à Pia, dans les Pyrénées-Orientales, les victoires ne sont pas celles de l'ex-FN.

«Erreur du service de communication»

A Brebières, le candidat Lionel David, dont le nom ne figure même pas dans la liste des candidats publiée par le mouvement le 11 mars, a rapidement clarifié les choses, dans un communiqué : «Nous n'acceptons pas qu'un parti politique en mal de publicité [en l'occurrence le RN] utilise, à notre insu, notre image pour se faire mousser. Nous demandons expressément que cela cesse. Notre liste n'est en aucun cas une liste RN et nous ne tolérons pas qu'elle soit utilisée à des fins promotionnelles.» Quant au candidat de Pia (9 000 habitants), Jérôme Palmade a indiqué au Parisien n'avoir été «ni investi ni soutenu par le RN». «Je veux que le parti reconnaisse qu'il s'est trompé, d'autant qu'il a utilisé une photo de ma campagne sans mon autorisation», a-t-il dit.

Invitée de Sud Radio, hier matin, Marine Le Pen a expliqué que l'erreur serait venue du service communication de sa formation. «Mais écoutez, c'est rien, c'est une erreur du service de communication qui s'est fondée sur un tweet d'un journaliste d'ailleurs», a-t-elle expliqué. «Ils ont tort, je leur ai dit, il ne faut jamais croire les journalistes.» Le tweet dont elle parle, publié dans la nuit du 28 au 29 juin, attribuait en effet des victoires pour le RN à Brebières, et à Pia… Mais aussi à Mazan, Morières-lès-Avignon, et Bédarrides, des villes où les candidats, estampillés divers droite, ont très peu affiché leur couleur politique pendant la campagne, parfois pas du tout.

Par exemple, à Morières-lès-Avignon, 8 000 habitants (Vaucluse), le maire sortant Joël Granier, qui briguait un quatrième mandat, s'est fait balayer par Grégoire Souque, un retraité de 73 ans. Et ce dernier a raconté à la presse s'être présenté sans étiquette, tout en n'ayant «jamais caché» son appartenance au RN, dont il a demandé «le soutien». Aucun problème : mais il dit quand même n'avoir «pas souhaité faire une liste exclusivement RN, d'ailleurs nous ne sommes que 3 sur 29, dans ma liste, membres du RN».

«Usurpation totale du RN»

La situation est un peu plus floue à Mazan (Vaucluse) où se présentait pour la troisième fois consécutive Louis Bonnet, ancien UMP, ancien LR… Pour ces municipales, encore plus à droite. Il a «ouvert grand sa porte», pour laisser passer deux membres du parti de Marine Le Pen. Et, de fait, sa liste divers droite a bien été, elle aussi, «soutenue» par le parti mariniste. Mais la position du candidat, elle, n'est pas très claire. «Quand on ouvre, on ouvre», s'est expliqué le bonhomme dans le Dauphiné Libéré, mi-mars. Il dit «par­ta­ger avec [ses nouveaux amis] les mêmes constats sur le bilan du maire sor­tant et notre vi­sion du vil­lage, cela me suf­fit». Mais quand le LR local a accusé Bonnet de «franchir la ligne rouge», celui-ci a aussi répondu : «Je ne suis pas au RN. S'il faut don­ner une éti­quette à ma liste, c'est celle de la so­ciété ci­vile.»

Situation confuse, enfin, à Bédarrides (Vaucluse, 5 000 habitants), où il semble en revanche que, soit les électeurs ont été trompés, soit le RN a exagéré. Elu là-bas le 28 juin, Jean Berard, 55 ans, avocat «issu d'une vieille famille de vignerons», fan de rugby, s'est présenté «sans étiquette». Et jusqu'à ce que Marine Le Pen revendique sa victoire, il n'a jamais affiché quelconque accointance avec la dirigeante d'extrême droite, selon des sources locales. Rien n'indiquait nulle part que l'homme avait reçu le label de la formation populiste, ni ses affiches de campagne… Le mariage de convenance, qui aurait été «sollicité» par Berard, selon une source à la mairie, a été scellé par un article de presse locale en février. Le nom de Jean Berard apparaît donc sur la liste des candidats publiés par le RN, le 11 mars. Mais il est tout à fait possible que personne n'était au courant à Bédarrides : quand on appelle la mairie aujourd'hui pour demander de quoi il en retourne, on nous répond que «ça nous étonnerait que Jean Berard soit du RN».

Berard a récemment posté sur son fil Twitter un bout d'article censé expliciter sa démarche. Mais ça n'aide pas beaucoup : on peut y lire qu'il aurait bénéficié d'un soutien du RN «sans exigence et sans obligation de placer un conseiller RN dans la liste. Nous ne sommes pas estampillés RN, c'est plus une adhésion au programme». Edile sortant, qui a eu Berard en adjoint à la mairie, Christian Tort parle pourtant d'une «usurpation totale du RN pour se faire de la pub sur le dos du village». Le quiproquo viendrait, selon le médecin ORL, qui ne s'est pas représenté à la mairie, du fait que Berard n'a jamais assumé le soutien, obtenu au début de la campagne. Il aurait raconté avoir été approché pour un soutien «qui n'engage à rien», et l'homme, selon les dires de Tort, aurait simplement répondu «pourquoi pas». A quoi cela tient une couleur politique… Rien n'aurait suivi après cette discussion informelle, et «Berard n'a jamais revendiqué quoi que ce soit», explique Tort, si bien que ni lui, ni aucun membre de sa liste, n'était encarté RN au soir du second tour, le 28 juin. Du coup, à la fin, et même si le village vote massivement pour le parti d'extrême droite aux élections – il y a fait 62 % à la dernière présidentielle –, l'annonce par Marine Le Pen d'une victoire du RN à Bédarrides, «a surpris tout le monde» dans le village. A force de se cacher...