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Libération
Récit

A Hayange, «le maire FN n’en a rien à foutre des habitants dans le besoin»

Ciblé par Fabien Engelmann, l’édile d’extrême droite de la ville mosellane, le Secours populaire risque l’expulsion de ses locaux.
Dans les locaux du Secours populaire de Hayange, en novembre, lors de la braderie annuelle. (Photo Stéphane Lagoutte. Myop)
publié le 5 novembre 2017 à 20h06

Dans le bureau du fond du local du Secours populaire de Hayange (Moselle), il fait toujours un peu plus froid qu’ailleurs. Ce doit être la configuration du lieu. Ou peut-être autre chose. La salle, des murs en parpaings enduits de béton et habillés de rares photos de bénévoles, déborde d’objets divers : des vêtements mis de côté pour quelqu’un, des chaises dépareillées, des bahuts vides, une grande étagère pleine de jouets pas déballés, des bouteilles d’alcool pour la Noël. Si elle a lieu.

L’an passé, Fabien Engelmann, le maire FN, a décidé que l’association caritative devait quitter le hangar qu’elle partage depuis 2005, à titre gracieux, avec les Restos du cœur. Depuis, il lui a supprimé les subventions, a voulu virer l’inscription du nom de l’asso à l’entrée, fait couper le chauffage, envoyé les huissiers. Et désormais, c’est le dépôt au tribunal administratif d’un avis d’expulsion qui se profile.

Terrain vague. Anne Duflot Allievi, à la tête du Secours populaire de Hayange et bête noire du maire, s'est assise au bout d'une large table sur laquelle on a laissé des boîtes ouvertes de chocolats, à distribuer aux visiteurs. C'est le jour de la braderie annuelle. Ce samedi, là où d'habitude on distribue aux pauvres le nécessaire vital, les gens viennent acheter des bricoles offertes par des donateurs anonymes : 1 euro le bonnet, 3 euros le pull, 50 centimes le kit de maquillage pour Halloween. Il y a un peu de monde. L'argent récolté doit servir à financer des vacances pour les enfants des bénéficiaires.

Les fenêtres de la pièce, trop hautes pour qu'on n'y voie autre chose que les nuages, donnent sur les ateliers municipaux, un terrain vague entouré de buissons et de saules abîmés. La ville y entrepose des palettes en bois ou des poubelles à compost destinées à être brûlées. Le maire (élu en 2014) y planque aussi «son» œuf. Cette œuvre, sculptée par l'artiste local Alain Mila et achetée par la précédente municipalité, servait de fontaine et décorait une place de la ville, avant que Fabien Engelmann ne décide de la repeindre en bleu - car il la trouvait «lugubre»… - puis ne la bazarde devant l'impossibilité d'enlever complètement la peinture.

La présidente du Secours populaire se démène pour continuer à distribuer l’aide alimentaire aux plus démunis. En ce samedi, elle a gardé son gros manteau et tient dans ses mains un petit classeur dans lequel elle a rangé des documents qu’elle a prévu de nous montrer pour prouver que son association a toujours le droit d’occuper l’entrepôt, anticiper les arguments éventuels du maire ; la photocopie d’une attestation d’assurance et autres choses qu’en temps normal on ne devrait pas avoir à montrer. Hayange est une ville de 16 000 habitants, mais les conflits locaux y prennent des dimensions nationales, tant la gestion municipale verse souvent dans le granguignolesque.

Défaite. Pour justifier sa décision, Engelmann a affirmé qu'elle avait «politisé l'antenne», en dénonçant un jour (dans les colonnes de Libé) une décision de la municipalité d'organiser un goûter de Noël excluant les enfants des migrants. De fait, Allievi serait «promigrants», comme si le monde se divisait en deux catégories : les pros, les antis. «Il cherche des excuses, mais il n'en a aucune. Il en a fait une affaire personnelle», se défend l'aide soignante, 57 ans, répétant inlassablement : «Le seul combat que je mène, il n'est pas politique, il est contre la misère», et «on n'est pas promigrants, on accueille tout le monde».

Engelmann répond qu'il n'a de comptes à rendre à personne, qu'il n'y a pas de contrat liant la ville à l'association, et que le lieu qu'elle occupe n'est pas «assuré» en cas d'incendie, qu'Anne Duflot Allievi «ne s'est jamais excusée», et puis, «quand j'ai un truc dans la tête, on ne peut plus le changer».

Devant le hangar, deux amis d'Anne Duflot Allievi venus lui apporter son soutien nous donnent leur avis sur le maire frontiste. Lui : «Cette femme s'en prend plein la figure alors qu'elle ne compte pas ses heures. C'est dégueulasse.» Elle : «Engelmann n'en a rien à foutre des Hayangeois dans le besoin, tout ce qui l'intéresse, ce sont les électeurs. Le reste ne représente pour lui que des menaces.» Lui, à nouveau : «Il fait ça pour faire parler de lui, faire le buzz, se faire réélire.»

Le paysage qui entoure le couple donne une couleur particulière à la scène. Derrière, les hauts fourneaux, éteints, énormes masses métalliques comme sorties de terre, rappellent que Hayange fut autrefois un bassin d’emplois ouvriers. Beaucoup ont perdu leur boulot. Si l’on tend l’oreille, on croit entendre le chuchotement des promesses non tenues des politiques qui se sont succédé aux responsabilités. Désormais, le lieu ressemble à un champ de bataille après la défaite, sans qu’on se souvienne aujourd’hui qui avait fini par gagner.

Photo Stéphane Lagoutte. Myop