Depuis leur réunion de rentrée mouvementée en novembre, les militants de l'Action française (AF) semblaient avoir disparu des rues de Marseille. On sait désormais pourquoi. Ils ont quitté la rue Navarin et la Plaine, quartier traditionnellement antifasciste, pour le Vieux-Port. C'est donc au 45, rue Fort-Notre-Dame, qu'une partie de ses militants a décidé de se recycler sous l'appellation le Navarin – double référence à leur ancien local et à la bataille navale de Navarin, en 1827, durant laquelle une flotte franco-russo-britannique avait vaincu les Ottomans. Ouverture prévue ce samedi 24 mars. Et pour l'occasion, les militants monarchistes ne sont plus seuls : ils s'associent au GUD (Groupement Union Défense), un violent syndicat étudiant ultra-droitier, créé en 1968 à l'université d'Assas, pour créer un nouveau rassemblement : le Bastion social.
Une trentaine de syndicats (FSU, Solidaires, UNEF, etc.), d'associations (Ligue des droits de l'homme), de collectifs (Nosotros, Soutien Migrant-e-s 13 / El Manba) et de partis politiques (Parti de gauche, PCF, etc.) ont prévu une manifestation, samedi à 15 heures, pour protester contre cette installation. Un rassemblement déjà tourné en dérision par les membres du groupuscule, sur un évènement Facebook intitulé «Grand marathon Antifasciste de Provence» où ils invitent les antifas à «faire LE marathon de [leur] vie et courir comme [des] fdp [fils de pute, ndlr] le plus longtemps et le plus loin possible». Interrogé par l'AFP, Steven Bissuel, président du Bastion social, précise : «Les antifascistes, on ne viendra pas les chercher, mais si eux viennent nous attaquer, il faut qu'ils sachent qu'on se défend très bien.» Devant le risque de confrontation, la préfecture de police a publié un arrêté interdisant toute manifestation autour du local ce samedi.
«Marianne est une salope»
Déjà implanté à Lyon, Chambéry, Strasbourg et Aix-en-Provence, le Bastion social rassemble ultranationalistes, royalistes et membres du GUD. Leur slogan : «Autonomie, identité, justice sociale». Et au programme : actions sociales «pour les Français», organisation de conférence sur le nationalisme européen, distribution de tracts pour l'instauration d'une préférence nationale ou concert de Cor Ignis, groupe de rock à la gloire de Brasillach, avec des paroles comme «Marianne est une salope, elle en veut toujours plus».
A lire sur CheckNews Qu'est-ce que le Bastion social ?
Le Bastion social rêve d'un parcours façon Casapound, parti politique italien nationaliste-révolutionnaire et néofasciste créé en 2003, dont plusieurs membres sont liés au GUD ou à l'AF. Derrière ce rassemblement, qui maquille comme son aîné transalpin un discours xénophobe et nationaliste sous un vernis social, on retrouve deux hommes : Jérémy Palmieri, gérant de la SCI le Cochonet, propriétaire du local de l'Action Française rue Navarin, et Steven Bissuel, membre du GUD à Lyon et désormais président du Bastion social. Celui qui se présente sur son compte Twitter comme un «nationaliste-révolutionnaire» n'est pas totalement inconnu. En effet, Bissuel s'est fait connaître lors de la rentrée mouvementée de Bruno Gollnisch à l'université Lyon-III. En 2015, il a été mis en examen pour apologie de «crime contre l'humanité» et «provocation à la haine raciale» en raison d'un tweet jugé antisémite. Il est aussi gérant de la SARL London Spirit, société mère d'une boutique de vêtements : Made in England, dans le Vieux-Lyon.
Coup de poing
Dans une interview accordée au site issu de la fachosphère Breizh.info, Steven Bissuel précise la démarche : «Nous prônons le ré-enracinement contre le déracinement, la remigration contre l'immigration, la diversité des peuples contre le magma indifférencié et uniforme.» Parmi ses proches, on compte Logan Djian, ancien dirigeant du GUD à Lyon. Adepte du coup de poing, l'homme est connu pour avoir tabassé un photographe de l'AFP lors d'une manifestation contre le mariage homosexuel, en 2013, et attaqué des Femen en 2012. Forcé de s'éloigner de Paris, Djian s'est expatrié à Lyon où il gère Point d'Encrage, un salon de tatouage – à deux pas de la boutique de Bissuel – où travaille notamment Daniele Castellani, dit «Pasquino», présent sur la liste Casapound aux élections municipales à Rome en 2013 et 2016, comme l'a révélé Lyon Capitale. Selon le quotidien le Progrès, Djian purge actuellement une peine d'un an d'emprisonnement à la prison de Corbas pour avoir violemment tabassé son prédécesseur au GUD à son domicile, en 2015. Domicilié à proximité de Gérard Collomb, alors maire de Lyon, il avait été fiché S par les services de renseignements avant d'être écroué en décembre.
Violences et nuisances en prévision
A Marseille, la situation s'est déjà tendue. Dans un post Facebook, Fadila Dela, membre d'un collectif contre le racisme, raconte avoir été agressée mercredi dernier par une dizaine de militants du Bastion social, lors d'un tractage pour informer les riverains de l'identité de leurs nouveaux voisins. La situation à Aix-en-Provence donne en tout cas un aperçu de ce qui les attend : «Ils sont saouls dès le début d'après-midi, se posent devant l'immeuble, parfois avec des manches à pioche, ils chantent des chants martiaux jusqu'à pas d'heure dans la cour intérieure, c'est intenable», se désole l'un des copropriétaires de l'immeuble où s'est installée la section locale. Si, à Strasbourg, après plusieurs manifestations de riverains et d'organisations d'extrême gauche, le conseil municipal a adopté une motion pour la dissolution du groupe et la fermeture de l'Arcadia, leur local, la mairie de Marseille se dit impuissante et nous renvoie vers la préfecture du département, «seule habilitée à se prononcer sur la légalité de cette installation».
Les militants d’extrême droite peuvent en tout cas compter sur le soutien de Stéphane Ravier, sénateur FN des Bouches-du-Rhône. En mars 2014, lors de sa victoire aux municipales dans un arrondissement de Marseille, l’élu frontiste se faisait soulever en triomphe par des militants de l’Action française. Parmi eux,Jérémy Palmieri ne masquait pas sa joie.