A la direction du Rassemblement national (ex-Front national) on veut bien l'admettre : «C'est vrai, il y a eu quelques départs ces derniers temps.» Mais on tempère aussitôt : «Ce sont des gens qui avaient compris qu'ils n'en seraient pas.» Le parti de Marine Le Pen a perdu une poignée de ses cadres cette année, il n'a engendré aucun ralliement de premier plan malgré son changement de nom en mars, mais il ne faudrait y voir aucun signe négatif pour le mouvement, assurent des proches de sa dirigeante. D'une part, RN serait en train de préparer la «révolution en Europe» et la «grande coalition» des nationalistes qui vient ; d'autre part, il constituerait en ce moment des alliances pour sa liste des Européennes 2019. La chose provoquerait des convoitises, donc, fatalement, des déçus…
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Preuve : quand l'ancien «économiste» du mouvement, Bernard Monot, a claqué la porte de RN en mai, il a rejoint Nicolas Dupont-Aignan, qui lui a promis une bonne place à ses côtés sur sa liste à lui. Le chef de Debout la France (DLF), que Le Pen aurait bien imaginé en soutien de choix pour valider sa démarche de «Rassemblement» comme il l'avait fait au second tour de la présidentielle 2017, s'est un peu émancipé de la patronne de l'extrême droite française, qui «a cru qu'il suffisait de siffler pour que je rentre à la niche» (dixit Dupont-Aignan). Et il a décidé d'aller seul comme un grand à la course à Bruxelles. Dupont-Aignan «sent que l'heure est venue» pour lui, qu'«il y a une conjoncture astrale», même que «tout ce que j'ai dit depuis quinze ans est en train de se passer». «Les gens ont besoin d'un "antisystème" rassurant comme moi», estime-t-il.
Au contraire d'une Marine Le Pen qui, elle, continue d'inquiéter massivement les Français dans une perspective de victoire (selon une étude à paraître). Au Rassemblement national, on a pris la nouvelle avec philosophie : «Dupont-Aignan, c'était sa chance d'être dans le "grand mouvement européen" qui est en train de se bâtir, mais il n'a pas compris ce qui est en train de se jouer. Tant pis pour lui, ça ne nous empêchera pas d'additionner nos voix au lendemain du scrutin.»
Dupont-Aignan a pourtant rallié cette semaine une autre eurodéputée RN, Sylvie Goddyn. Son nom figurera sur sa liste en mai L'élue, trente ans de Front, s'est fait virer par Marine Le Pen pour lui avoir parlé d'«union» derrière le patron de DLF. «Si tu soutiens la liste de rassemblement conduite par Nicolas Dupont-Aignan, en cas de victoire, chacun saura que c'est toi qui l'as rendue possible», a écrit Goddyn dans une lettre publique adressée à la patronne du mouvement. Maintenant, elle se dit «carrément étonnée de la réaction de Marine Le Pen» qui a suivi. «Dès qu'il y a une tête qui dépasse, dès qu'on émet une idée différente de la direction, on est exclu.» Réaction d'un cadre RN : «Sylvie Goddyn suit son mari. Politiquement, ce n'est pas très intelligent.» Le «mari» en question étant Eric Dillies, l'ancien patron du Rassemblement national à Lille, qui a quitté le parti en septembre en dénonçant son manque de «démocratie» interne. Il y a un an, Dillies avait voulu se présenter à la présidence du Front national avant de finalement renoncer, faute de voir les conditions de candidatures assouplies par sa présidente, unique candidate à la fin. L'homme a été vu fin septembre à un meeting de Nicolas Dupont-Aignan. Mais, contrairement à son épouse, il ne sera pas sur la liste DLF aux Européennes de 2019, car il a d'autres ambitions (les municipales).
«Ligue 2»
«Tout cela fait un peu "Ligue 2"» du souverainisme, persifle un élu Rassemblement national, «même pas, division d'honneur». Rien à voir, à l'en croire, avec le parti de Marine Le Pen. Qui, lui, a des prises de choix à présenter pour sa liste d'ouverture : il y a l'ex-ministre des Transports de Nicolas Sarkozy, Thierry Mariani, marginalisé à LR qui a dit oui au «rassemblement» depuis longtemps ; mais aussi l'ancien député UMP de Gironde Jean-Paul Garraud. L'homme, magistrat de profession (il est avocat général à la cour d'appel de Poitiers), qui a cofondé avec Thierry Mariani le mouvement la Droite populaire, et dont Marine Le Pen connaît les positions depuis «un certain temps», se mettra en «disponibilité» dès que sa présence sur la liste RN, envisagée avant l'été 2018, sera officialisée par la formation. «Je suis du côté des souverainistes depuis toujours, récite-t-il, et j'ai toujours été pour une grande coalition de la droite.»
Derrière qui ? Le nom de Nicolas Bay, vice-président du groupe Europe des nations et des libertés (ENL) au Parlement européen circulait, jusqu'à il y a peu de temps, pour prendre la tête de liste. Celui de l'intellectuel de droite Hervé Juvin a aussi, un temps, un peu tourné, quand Marine Le Pen envisageait de confier la chose à une personnalité de la société civile. L'option a été abandonnée car «personne ne connaît» Hervé Juvin, explique une source proche de la direction du parti. Tourne depuis l'idée qu'il puisse s'agir de Louis Aliot. Même si «rien n'est décidé pour l'instant» et que «le nom de la tête de liste sera dévoilé en décembre ou janvier», fait-on savoir au siège du Rassemblement national, le député à l'Assemblée nationale, compagnon de Marine Le Pen au civil, a quand même fait (plus ou moins) acte de candidature mi-octobre, dans le Parisien. «Si ce doit être quelqu'un de RN, alors je suis le mieux placé. Ensuite, je n'en fais pas une affaire personnelle», a-t-il déclaré. Il a aussi expliqué qu'en cas de victoire, le parti ne pourrait pas compter trop longtemps sur lui : Aliot vise en fait la mairie de Perpignan, les européennes lui servant simplement de tremplin. «L'avantage pour Marine Le Pen, c'est qu'il ne fera pas de vague. Ses proches font tout pour qu'aucune autre personnalité à part Marine Le Pen n'émerge», résume un élu RN. Il ajoute : «Tout cela n'est pas très sérieux, presque loufoque. C'est un mélange de paresse et de légèreté. En tout cas pas vraiment à la hauteur des enjeux.» Lesquels, déjà ? Constituer une liste ou mener «la révolution en Europe» ?