Menu
Libération
Elections

En vue de la présidentielle, l’extrême droite se focalise sur des villes cibles

Fréjus, Hayange, Beaucaire… Le RN cherche à garder les bastions conquis en 2014 et lorgne leurs communes voisines.
Marine Le Pen, dimanche, à La Rochelle. (Photo Théophile Trossat)
publié le 16 juin 2019 à 20h56

Arrivé en tête dans de nombreuses villes de France avec parfois 35 %, 40 %, voire plus lors des européennes, le Rassemblement national voit approcher les municipales avec gourmandise. Sans pour autant faire de plans sur la comète, en tout cas pas tout de suite. «On ne sait pas encore si dans neuf mois le climat sera au dégagisme anti-Macron ou non», prévient un cadre du parti de Marine Le Pen. La formation d'extrême droite sait qu'elle brille moins dans les scrutins locaux et que sa dynamique actuelle, quoique validant son statut d'autoproclamé «premier parti d'opposition», reste fragile. En 2020, «on va prendre un certain nombre de communes. Les municipales servent à ça», avance donc prudemment un proche conseiller de Marine Le Pen : «Mais on n'envisage pas ces élections avec un point de vue comptable, ce serait stupide.» Ce serait surtout risqué, politiquement et médiatiquement. L'idée consiste à «construire un maillage fort et renforcer les lieux où on est déjà implantés. Les municipales peuvent être un tremplin pour les prochaines élections départementales et régionales de 2021», ajoute ce cadre, se projetant par-dessus les municipales : «Si on avait dirigé une région, on aurait abordé la présidentielle de 2017 un peu différemment.» Comprendre : la victoire nationale se nourrit de succès et donc d'ancrages locaux.

Pétanque

C'est ce qu'on appelle la «stratégie de l'inondation» - «Ce sont les mots de nos adversaires», a taclé Marine Le Pen dimanche, tout en décrivant cette avancée par bassins électoraux. Elle répète à l'envi que le RN est arrivé en tête dans 66 départements aux européennes. Le parti mise sur des candidats issus de cantons à fort potentiel pour aborder les élections locales suivantes. Et après, il investira de nouveau de jeunes candidats. «Plus on aura de mairies, plus on sera crédibles pour la suite», résume une eurodéputée.

Lancée dimanche à La Rochelle (Charente-Maritime), la campagne du RN vise d'abord à conserver les mairies gagnées en 2014, quand il avait remporté dix villes de plus de 9 000 habitants. «A priori, on est partout en situation de repasser», s'avance un dirigeant RN. Avec une inconnue à Cogolin, dans le Var, puisque Marc-Etienne Lansade a quitté le parti depuis, et excepté Mantes-la-Ville, dans les Yvelines, remporté presque par accident dans le cadre d'une quadrangulaire.

La formation mariniste compte aussi recueillir les fruits de la méthode appliquée dans ses villes après 2014. A savoir diriger sans faire de vagues. Le bilan des politiques locales menées au cours des cinq dernières années dans les communes RN est souvent d’une grande normalité, si l’on exclut le discours xénophobe et les attaques systématiques des opposants. L’électoralisme y a surtout régné en maître. A Beaucaire (Gard), le maire, Julien Sanchez, a passé son temps à vouloir interdire les menus sans porc des cantines scolaires de sa ville et à communiquer dessus. A Hayange (Moselle), Fabien Engelmann s’en est pris au Secours populaire local, qu’il accuse d’être pro-migrants, tout en brossant dans le sens du poil ses électeurs du club de pétanque, à la «fête du cochon» ou au bal communal… Le 26 mai, lors des européennes, le RN a réalisé dans ces deux communes des scores considérables : quasi 40 % à Hayange, près de 50 % à Beaucaire.

Bassin minier

L'an prochain, le parti d'extrême droite va viser les communes voisines de celles remportées en 2014. «Quand on remporte une mairie, cela rayonne ensuite, et on gagne des élus autour», théorise un proche de Marine Le Pen. Exemple à Noyelles-Godault (Pas-de-Calais), ville de 5 000 habitants collée à Hénin-Beaumont, où devrait être investie la mère de l'édile local, Steeve Briois, aussi vice-président du RN. Au-delà du Pas-de-Calais et du bassin minier, où le parti a des visées sur Lens ou Bruay-la-Buissière, l'objectif est de consolider l'implantation dans le quart Nord-Est et le Sud, où le RN réalise ses meilleurs scores. A Denain, ravagé par le chômage (il atteint 35 %), dans la 19e circonscription du Nord qui a envoyé Sébastien Chenu à l'Assemblée nationale en 2017, le RN a fait 45 % aux européennes. «Cela en fait bien sûr une cible», souffle-t-on. En Moselle, l'ex-numéro 2 Florian Philippot s'était cassé les dents à Forbach en 2014. Selon plusieurs médias, le RN pourrait tenter sa chance dans la commune voisine de Stiring-Wendel, 11 000 habitants et 42 % de voix aux européennes. Kévin Pfeffer, un ancien proche de Philippot, pourrait y demander l'investiture du RN.

Dans les Alpes-Maritimes, La Trinité, commune limitrophe de Nice (ingagnable pour le RN), fait partie des cibles : l'extrême droite y a dépassé les 40 % le 26 mai. Comme à Allauch, dans les Bouches-du-Rhône, où le RN a fait 48 % aux législatives en 2017. «Le maire PS a 80 ans, a été mis en examen dans plusieurs affaires et a récemment menacé un journaliste local de mort», résume le cadre mariniste pressenti pour être tête de liste à Allauch.

Mayonnaise

Dans le Vaucluse, des villages ont offert plus de 45 % des voix à la liste de Jordan Bardella aux européennes, et le RN a placé Carpentras en haut de son tableau de chasse - en 2017, le candidat frontiste avait recueilli 48 % lors du second tour des législatives face à la future secrétaire d'Etat Brune Poirson - et espère avancer ses pions à Avignon. Plus à l'ouest, Perpignan, que tentera de conquérir à nouveau Louis Aliot (lire ci-dessous), pourrait être la seule ville de plus de 100 000 habitants remportée par le RN. Ce dernier lorgne aussi les communes de Gironde, où il a mis en place depuis 2017 des stratégies d'alliances locales avec la droite sous l'égide d'Edwige Diaz. Chez la référente départementale, la mayonnaise a bien pris entre droite et RN. «On va s'accorder sur des fusions», promet-elle. A Fréjus, la plus grosse ville actuellement dirigée par le RN (53 000 habitants), «et aux alentours», le maire sortant, David Rachline, assure que son parti réserve quelques surprises, notamment, grâce à des alliances à gauche. Draguignan ou La Seyne-sur-Mer sont visés. Un futur candidat en train de monter sa liste municipale résume la situation : «Depuis quelque temps, bizarrement, les conseillers municipaux de ma ville sont devenus très gentils avec moi.»