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Libération
Récit

Ménard et la justice : attaques et dépenses

Depuis l’élection du maire proche du RN, les frais engagés par la municipalité de Béziers pour régler différents procès s’élèveraient à près d’un million d’euros. Dont plus d’un tiers lié à ses propres contentieux.
publié le 19 novembre 2019 à 19h01
(mis à jour le 19 novembre 2019 à 19h06)

La somme est précise : 915 627, 01 euros. Il faut dire qu'elle a été calculée par un expert-comptable. Conseiller municipal d'opposition et candidat à la mairie de Béziers (Hérault), Pascal Resplandy tient le décompte des frais de justice engagés par la ville depuis qu'elle est dirigée par Robert Ménard (proche du RN) en 2014 : «A chaque conseil municipal, je note les nouveaux frais d'avocats et d'huissiers de la ville.» Candidat soutenu par les radicaux, le Modem, LREM et Agir, il réactualise ensuite le compteur qui apparaît en bonne place sur le site de campagne de sa liste «Béziers en rouge et bleu».

«D'ici la fin du mandat, on va arriver au million», prédit Pascal Resplandy. Méticuleux, il ne s'est pas contenté d'additionner les frais de justice de Béziers, il les a aussi catalogués. D'un côté, les contentieux incombant à la précédente mandature (environ 120 000 euros) ou les dossiers «ville» relevant de procédures liées à l'urbanisme (273 000 euros), entre autres. Et de l'autre, le coût des «affaires», soit «tout ce qui est lié à la propagande et au comportement du maire», précise l'opposant. Et dans ce cas, l'addition, selon lui, frôle les 328 000 euros. Il pointe quelques exemples.

Escapade

En 2015, un contentieux avec un instituteur traité de «petit con» par Ménard, parce que l'homme refusait de lui serrer la main, a coûté à la collectivité 6 733 euros. L'année suivante, le maire annonce qu'il veut créer un fichier ADN des chiens de sa ville pour identifier les crottes sur la voie publique et verbaliser les maîtres. Le préfet s'y oppose, Ménard attaque en justice. Déjà examinée par plusieurs tribunaux, cette affaire de déjections canines a coûté à Béziers, selon Pascal Resplandy, près de 22 500 euros en frais de justice.

Pascal Resplandy, candidat aux élections municipales à Béziers, soutenu par LREM.

photo David Richard. Transit

Autre exemple : en mai 2018, Robert Ménard est invité en Gironde pour un débat sur «l'union des droites». Sur place, une manifestation organisée contre sa venue tourne mal, le maire de Béziers se fait chahuter et bousculer. Il riposte devant les tribunaux et gagne : un homme est condamné pour violences. Lors du même déplacement, deux élus girondins publient un communiqué que Ménard va juger diffamatoire : nouveau procès, que l'édile perd cette fois. Coût de cette escapade : plus de 43 000 euros de tribunaux.

A Béziers, les contentieux sont si nombreux que tout le monde s'y perd. Même Ménard a du mal suivre. Lui qui brigue un second mandat en mars n'est pas pour autant prêt à changer son fusil d'épaule. Ces procès «prouvent qu'on se bat, explique-t-il à Libération. On n'est pas une mairie plan-plan. On reproche aux politiciens leur langue de bois et quand un élu parle vrai, d'un coup, c'est un problème. Nous, on continuera à faire de la politique comme ça».

L’édile conteste toutefois les montants avancés par son adversaire municipal. Et fournit, pour étayer son propos, un dossier de plus de 100 pages listant les frais de contentieux depuis le début de son mandat. Selon ses calculs, l’addition totale s’élève à 835 000 euros, soit une différence de seulement 80 000 euros avec le décompte de Resplandy, sur un budget de fonctionnement annuel de 119 millions.

«Gestion par la peur»

Au-delà des chiffres, les cabinets d'huissiers et d'avocats n'ont donc pas chômé grâce à Béziers. Cette longue liste de contentieux témoigne surtout des rapports de force qui marquent désormais la vie politique biterroise. «Robert Ménard m'a traité de faux cul, de vieux schnock, de stalinien… Il insulte, provoque, n'aime pas la contradiction. Le rôle d'un maire est de rassembler. Lui, il ne veut pas entendre parler du vivre-ensemble», affirme Aimé Couquet, conseiller municipal PC. Il poursuit : «Ménard m'a attaqué en justice à cause d'un post du NPA sur ma page Facebook, mais il s'est désisté le jour de l'audience. Moi, j'ai payé un avocat de ma poche. En face, c'est la ville qui a payé un huissier et un avocat. Dans cette affaire, j'ai donc payé deux fois : pour me défendre et comme contribuable !» Au sein de l'hôtel de ville, l'ambiance n'est guère plus détendue. Pascal Resplandy a chiffré les frais de justice engagés par la mairie depuis 2014 dans des dossiers concernant le personnel municipal : ils atteindraient selon lui plus de 195 000 euros, ce qui porte bien le total à près de 916 000 euros. Yvan Vialettes, secrétaire général CGT du personnel municipal, raconte : «J'ai trois contentieux en cours avec la ville, dont deux pour discrimination syndicale. Je travaille dans cette collectivité depuis trente ans et je n'ai jamais ressenti une ambiance aussi négative. Des agents ont été placardisés, d'autres poussés dehors. Les primes au mérite ont créé des tensions, des jalousies, des suspicions. C'est une gestion par la peur.»

Frédéric Lacas, président de la communauté d’agglomération Béziers Méditerranée.

Photo David Richard. Transit

Mais celui qui a essuyé le plus grand nombre d'attaques de Ménard, c'est Frédéric Lacas. Président (DVD) de la communauté d'agglomération Béziers Méditerranée, il est la cible régulière et récurrente du Journal de Béziers, un mensuel municipal au style inimitable. «Heureusement que nous ne faisons pas un procès au maire à chaque fois… Mais nous avons quand même lancé des procédures pour diffamation, après des insultes concernant notre gestion de l'eau et de l'assainissement, raconte Lacas. De son côté, Robert Ménard nous a attaqués sur une question d'abri de bus et il a perdu. Il a aussi menacé de quitter l'agglomération, a contesté les vice-présidences… Il provoque et fait peur mais c'est du théâtre.» Coups d'éclat et polémiques à rallonge ont poussé les mauvaises langues à surnommer Ménard «le maire de Buzziers». Jusqu'ici, elles n'ont pas été attaquées pour diffamation.