Aux municipales de 2014, le Front national, bien seul, sans ralliements extérieurs mais soucieux d'être présent partout pour respecter son slogan de «premier parti de France», avait investi beaucoup de monde. N'importe qui parfois. Avant d'abandonner ses troupes, incapable de gérer le volume inédit de 1 500 conseillers municipaux alors récoltés.
Trois ans plus tard, plus d'un tiers avait fait défection, avec parfois des sentiments de «solitude» et des mots à la bouche comme «pas prêts à gouverner» ou «ça va trop vite pour eux»… La critique a souvent été entendue, venant d'anciens impétrants aux espoirs douchés, ou de pièces rapportées découvrant sur le tas la façon dont la formation centralise le pouvoir et manque de considération humaine. Exemple avec Nicolas Dupont-Aignan, patron de Debout la France (DLF), soutien éphémère de Marine Le Pen en 2017. Mais pour le scrutin de 2020, il faudrait croire que le parti a changé. «La preuve, c'est qu'on prône désormais l'ouverture et qu'on appelle maintenant d'autres formations politiques à nous rejoindre», assure un proche de l'ancienne candidate à l'Elysée. Un autre raconte : «Contrairement à 2014, on arrive avec une armée de pros, des personnes qu'on va accompagner, et d'autres qui nous ont rejoints.» Il rappelle qu'entre 2017 et aujourd'hui, le FN a opéré une «refondation» et changé son nom en «Rassemblement national». Avec en ligne de mire le tunnel électoral qui vient (municipales, départementales, régionales, présidentielle) pour développer sa (nouvelle) stratégie de «désenclavement», censée rameuter du monde à terme. Une myriade de gens de tous bords - surtout de droite.
On est presque deux ans plus tard et encore «au début» de quelque chose, a prévenu Marine Le Pen à la «Convention nationale "municipales"» du RN, mi-janvier à Paris. Devant la maigre moisson de têtes fraîches. Lors du lancement de la campagne du parti, en juin à La Rochelle, elle avait lancé un «appel à tous ceux qui se sentent embrigadés par LR» à la rejoindre. Mais celui-ci n'a, semble-t-il, pas été entendu. Bien conscient qu'aux élections municipales l'étiquette ne fait souvent pas le moine - l'un de ses candidats phares, Louis Aliot à Perpignan, y va d'ailleurs sans le logo du Rassemblement national -, on pariait au RN sur ces maires sortants inquiets de perdre leur mandat s'ils ne s'affichaient pas avec le parti arrivé en tête aux européennes. A croire que cette crainte-là n'a pas suffi… Les ralliements opportunistes de ce genre sont, neuf mois plus tard, proches de zéro. Quant au total des responsables d'autres formations ayant franchi le Rubicon, ils se comptent sur les doigts d'une seule main. Alors, pour tenter de prouver que le «rassemblement national» n'est pas qu'une expression cosmétique, les marinistes ont cherché les exemples de listes d'«union» sur lesquels communiquer.
Histoire de montrer une dynamique. L'idée étant de mettre en avant des formes d'alliances qui se complètent, même si, derrière, il s'agit parfois de rafistolages habillant de simples retournements de vestes. Aussi habituels soient-ils en politique, ces manèges se font depuis peu en faveur du parti d'extrême droite. La «dédiabolisation» a bien servi à quelque chose : faire sauter le fameux «cordon sanitaire» entre le Rassemblement national et les autres. A la convention municipale du RN de la mi-janvier, les présents n'arrêtaient pas de répéter que «le plafond de verre [avait] sauté». Et Marine Le Pen d'expliquer qu'il n'avait même… «jamais existé».
Des rassemblements «inédits»
L'une des premières à répéter ce mantra était alors Agnès Marion, une conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes. Candidate à toutes les élections depuis 2007, elle a été investie par le RN pour la mairie de Lyon. Tandis que l'ancien membre de La France insoumise Andréa Kotarac était choisi pour conduire la liste pour la métropole. Les deux vantent depuis partout où ils peuvent un rassemblement qui «n'existe nulle part ailleurs», où se côtoient une mère de six enfants proche de «la Manif pour tous», historique du Front lancée en politique par Bruno Gollnisch, et un jeune ambitieux, «prise de guerre» du RN au parti de Jean-Luc Mélenchon. Le parti d'extrême droite ne cesse de brandir le trentenaire Kotarac en exemple chaque fois qu'il veut faire croire qu'il est devenu attrayant pour les électeurs de gauche tentés par les sirènes marinistes du nouveau clivage «peuple contre élites».
A Lyon, les listes mélangent donc un peu de tout. Marion et Kotarac font l'inventaire avec gourmandise quand on leur demande : Olivier Pirra, dans le Ve arrondissement, est membre du Parti chrétien-démocrate de Jean-Frédéric Poisson, avait été élu conseiller municipal en 2014 avec le soutien de LR. Il y aurait aussi dans le lot un «ancien chevènementiste» (à Villeurbanne), un «ancien trotskiste» quelque part ; Justine Dufour, candidate dans le VIIe arrondissement de Lyon, a été labellisée pour l'occasion Droite populaire, l'association du transfuge LR Thierry Mariani, que l'ancien ministre a recyclée aux municipales pour les candidats de droite n'assumant pas d'être investis par le RN.
On notera la présence d'Antoine Mellies dans la circonscription K à la métropole. Candidat aussi à Givors, c'est un ancien soralien (partisan de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral), proche de Marion Maréchal-Le Pen et copain de fac de Kotarac. Pour la petite histoire, c'est ce frontiste pur jus qui a fait que le militant LFI a passé l'arme à l'extrême droite. «Je le connais depuis huit ans et cela faisait huit ans qu'il tentait», a déjà raconté Kotarac. Comme lui, Mellies a 30 ans. Et tout ce beau monde sert surtout de vitrine pour le RN qui, en réalité, n'a aucune ambition dans le fief de Gérard Collomb.
Pour 2020, une des stratégies du parti est de mettre en avant des candidats propres sur eux et qui parlent bien dans les grandes villes où il a peu de chances de victoire, mais où il pourrait bénéficier d'une exposition. «On insiste sur le casting. On met des mecs où on pense que, s'ils ne peuvent pas gagner, au moins ils peuvent rester», explique un cadre. A Lyon, Agnès Marion est créditée de 10 % des voix au premier tour. Mais elle raconte quand même que «ça peut passer, sur un malentendu».
«Même mode de pensée»
Le fond diffère un peu là où le RN a des chances de victoire. Mais pas beaucoup sur la forme. Exemple en Gironde, où la formation lepéniste vise en 2020 «entre 3 et 6 communes et 100 conseillers municipaux, contre une vingtaine aujourd'hui», nous dit-on. La région n'est pas une terre d'ancrage historique de l'ex-Front national, à la différence du bassin minier dans le Pas-de-Calais et du sud-est de la France. Là-bas, le parti n'a rien à perdre et tout à tenter, et y joue la carte de l'«union des droites».
Après 2017, une élue locale, Edwige Diaz, a monté une asso avec des gens au «même mode de pensée» qu'elle, parfois encartés chez Les Républicains, ce qui a beaucoup intéressé la presse. «Pour la France, la France unie» a été fondée à Saint-André-de-Cubzac (Gironde) et comptait alors des FN, une élue DLF… et l'équipe racontait avoir imaginé un labo pour multiplier l'idée un peu partout en France. On était, après l'élection de Macron, à une époque où les responsables politiques parlaient tous de «recomposition», assurant que l'union allait être la seule chance pour la droite de renaître de ses cendres, là où se trouvait le seul potentiel électoral restant, entre LREM et le RN.
Tenteront leur chance sur ce créneau au niveau national un Dupont-Aignan autoproclamé «rassembleur rassurant», un Wauquiez radicalisant son discours et une Marion Maréchal-Le Pen pour laquelle ce fut comme les autres un échec cuisant. Sa «convention de la droite», organisée fin septembre par des proches qui lui imaginent un destin présidentiel, s'est résumée en un raout extrême où les discours rivalisaient de radicalité, forçant Maréchal, qui tentait là un retour, à repartir dans sa retraite de la vie politique pour longtemps. Au RN, la chose a fait sourire. «L'idée d'une union des droites date de 1981, elle est complètement dépassée aujourd'hui. C'est devenu une niche. D'autant plus quand LR est à 6 %. Ça ne peut pas fonctionner à cette échelle», explique un conseiller de Marine Le Pen. Oubliant que le RN l'a lui-même prônée un temps après 2017.
Mais sur un plan local, l'idée aurait-elle toutes les chances d'aboutir ? L'union d'Edwige Diaz et d'élus LR n'a pas berné grand monde à l'époque, les types autour de la table venant tous plus ou moins de «la droite de la droite». Trois ans plus tard, Diaz continue toutefois de vanter la chose pour sa candidature à Saint-Savin, près de Bordeaux, avec sur sa liste un ancien UMP, dans un «foyer de vote Rassemblement national», dans une commune où, dit-elle, «l'ère PS vit ses derniers instants, et la mode Macron est en pleine extinction». Alors qu'à Saint-André-de-Cubzac, ça sera l'inverse : une tête de liste anciennement LR, Georges Belmonte (le nouveau président de Pour la France) et en numéro 2 la RN Déborah Martin. Marine Le Pen viendra soutenir tout ce beau monde en personne samedi.
«Se montrer fréquentable»
Mi-janvier, la présidente du RN présentait Edwige Diaz parmi les candidats sérieux pour lesquels la formation d'extrême droite nourrit de fortes ambitions, et qui étaient invités à s'exprimer à la tribune. L'élue, la trentaine, a parlé un peu avant Sébastien Pacull, qui détonnait par son style. L'homme était président de la fédération LR de l'Hérault, avant de s'en faire exclure à cause de ses nouvelles fréquentations. Pacull est candidat à la mairie de Sète «avec le soutien du RN». L'expression a son importance pour celui qui raconte partout qu'il n'est «ni en marche [rapport à Emmanuel Macron, ndlr] ni en laisse».
La preuve, c'est que pour son premier meeting de campagne, fin janvier, l'homme a accueilli Robert Ménard, le maire de Béziers, lui aussi élu à l'époque avec le soutien du FN. Ménard y a promu l'union des droites, mais pas comme Maréchal l'entend, lui le voit plus autour de sa femme, Emmanuelle Ménard, députée : «Depuis des années, je plaide pour que cette droite si conne comprenne que sans cette unité, rien n'est possible», a dit Ménard. Lui aussi, un moment donné, a voulu incarner l'union des droites, avait organisé il y a trois ans - avant la présidentielle - un événement «rassembleur» qui, pauvre en têtes d'affiche, avait tourné au fiasco.
«Ménard essaie de faire avancer l'extrême droite partout où il le peut. Il essaie de se montrer fréquentable sur notre dos», a commenté un élu LR quand il a vu le cinéma qui se tramait à Sète. Et ce cadre du Rassemblement national de persifler : «Ménard, il essaie d'exister, de tirer la couverture à lui sur son idée d'union des droites. Après, il est très fort à Béziers, son soutien à Sète ne fait pas de mal. Mais ça n'est pas non plus déterminant… comparé au soutien du RN.» Situation cocasse si l'on résume : Pacull, qui n'est pas encarté RN, reçoit le soutien d'un maire élu avec le soutien du FN, mais aussi du parti lui-même et, en plus, de la Droite populaire de Mariani. Ce qui, pour un candidat «pas en laisse», fait quand même beaucoup de harnachements.