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Louis Aliot à Perpignan, une victoire notable

A sa troisième tentative, l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen, ex-compagnon de Marine Le Pen et dirigeant historique du RN rapporte au parti sa plus grosse prise des municipales. Sur une ligne qui n’est pas vraiment celle de sa présidente.
Louis Aliot à son QG de campagne, lendemain de la victoire aux élections municipales. (Photo David Richard. Transit pour Libération)
publié le 29 juin 2020 à 16h01

Le frontiste Louis Aliot a été élu dimanche maire de Perpignan et, sans un mot pour la présidente de son parti, Marine Le Pen, l’homme de 50 ans s’est empressé de féliciter «ceux qui ont contribué à démolir l’abominable front dit « républicain »». Ses soutiens se seraient «comportés comme des hommes libres», s’est-il aussi enflammé, sous les hourras des supporteurs. Avec 53% des suffrages, il offre au Rassemblement national, qui en a bien besoin au regard de ses résultats globaux aux municipales, sa plus importante victoire, la première dans une ville de plus de 100 000 habitants depuis Toulon en 1995. Jusqu’ici, le Fréjus de David Rachline était la plus grande commune RN, le voilà devancé par Perpignan et ses 120 000 habitants, dont 15 743 bulletins Alliot au deuxième tour.

Dimanche soir, dans l'appartement bourgeois du centre-ville de Perpignan qui lui a servi de QG, Aliot s'est montré avec quelques uns de ses colistiers en bras de chemise, sa compagne, qui a peint les tableaux décorant le lieu, et un transfuge de la droite ayant rejoint le RN peu avant les européennes : Jean-Paul Garraud. L'ancien député UMP de Gironde aujourd'hui à Bruxelles, magistrat, proche de Thierry Mariani, a œuvré tout au long de la campagne pour le candidat, parachuté en 2008, qui en était à sa troisième tentative à Perpignan. Garraud ne s'en cache pas : il a partagé avec Aliot ses réseaux, anciens élus UMP, RPR, ou labellisés «Droite populaire», des chefs d'entreprise… «J'apprécie l'homme depuis longtemps, j'ai fait plusieurs réunions avec lui, ça a un sens : montrer à l'électorat traditionnel de droite qu'il peut voter RN en toute confiance.» Cela a payé : «Ce sont dans les bureaux du centre qui votent d'habitude à droite qu'Aliot a réalisé ses meilleurs scores», avance Garraud. Au grand dam du maire sortant LR, Jean-Marc Pujol, 71 ans, qui malgré les soutiens tardifs de quelques têtes connues au niveau national (le voisin palois François Bayrou, Valérie Pécresse, Edouard Philippe), et le désistement des listes LREM et écolo pour «faire barrage à l'extrême droite», n'a pas dépassé les 47% dimanche.

Sans étiquette

Garraud explique : «A Perpignan, on retrouve la fibre RPR qui constituait le socle militant de l'UMP. Les gens qui soutenaient Pasqua par exemple. Ce sont ceux-là qui sont orphelins aujourd'hui et qui se sont trouvés chez Aliot. Il n'y a aucune différence entre lui et le RPR d'avant. C'est limpide.» Une équation assez loin de la ligne nationale du RN. Dimanche, après son élection, Aliot dit n'avoir «jamais fait mystère de [son] appartenance au Rassemblement national et j'en suis fier, mais simplement, il y avait des personnes qui sont tolérantes et qui se fichent pas mal de l'étiquette». Car l'ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen a fait campagne sans afficher nulle part son appartenance politique, à l'extrême droite, appliquant plutôt une stratégie d'«indépendance» et une formule d'«union des droites» empruntées à Robert Ménard, maire apparenté RN de Béziers. L'homme fort de la région, réélu dès le mois de mars avec plus de deux tiers des suffrages et qui critique souvent Marine Le Pen, était présent à l'inauguration du QG, fin octobre. Et il a déjà reçu une délégation de colistiers d'Aliot pour leur montrer comment ça se passait dans sa ville. Dimanche, il a appelé son copain pour le féliciter de cette victoire historique: «On va se sentir moins seuls», a raconté Ménard à l'Express. Un cadre de l'ex-FN: «Je ne suis pas devin, mais je suis persuadé que les Perpignanais vont bientôt être aussi ravis que les Biterrois à Béziers.»

En plus d'avoir caché sa flamme frontiste pendant la campagne, Aliot s'est gardé de parler immigration et islam, thèmes fétiches de sa formation, adoptant un phrasé libéral pour plaire à l'électorat centriste et au tissu économique local. Un jour il a quand même invité à sa tribune Eric Zemmour, star de l'extrême droite, qui en a profité pour prononcer «le discours le plus violent et le plus raciste jamais entendu à Perpignan pendant une campagne électorale», raconte l'historien spécialiste des droites radicales, Nicolas Lebourg. Présent au palais des congrès de la ville ce soir de septembre 2019, le chercheur décrit un public «bourgeois» constitué principalement d'anciens du RPR local. Preuve, ajoute-t-il, de la «normalisation du Rassemblement national à Perpignan».

Ajoutez à cela trois anciens de la liste LREM du premier tour qui retournent fièrement leur veste pour soutenir Aliot peu avant le second et vous obtenez un cocktail victorieux. Que s’est-il passé? «Aliot s’est notalibilisé, avance Gabriel Robin, son attaché parlementaire : il l’était déjà, il est avocat. Mais on l’a plus vu quand il est devenu député des Pyrénées-Orientales. Ça lui a tout de suite donné une autre stature. Aliot a préparé la municipale en gagnant la législative, explique encore celui qui est aussi rédacteur en chef de l’Incorrect, magazine pro Marion Maréchal. Et il a multiplié les tribunes dans les journaux de droite, l’Opinion, Valeurs actuelles, Causeurça a montré une densité intellectuelle, participé à la construction d’un personnage. Mais aussi donné une surface médiatique, parce que les journaux focalisent sur le RN.» Sacrée revanche pour un homme décrit au sein de son mouvement comme «peu travailleur». De fait, avec son faux-nez, Aliot est allé plus loin que la «dédiabolisation» de Marine Le Pen. A Perpignan, «il a réussi la fusion des droites, libérales et anti-immigration, explique Lebourg. Avec une vieille ligne nationale populiste des années 1980, mais nettoyée des provocations antisémites.»