A Perpignan, dimanche, à l'issue des municipales, on a compris qui l'avait emporté, mais pas toujours comment les électeurs ont voté. Le vainqueur a été Louis Aliot, avec un score limpide : 52,7 %. Mais l'homme qui a ravi la ville de 122 000 habitants - la seule victoire d'importance pour le RN mais une conquête «historique» après celle de Toulon en 1995 - l'a fait en portant le faux nez du candidat sans étiquette.
Il a appliqué une formule d'«union des droites» empruntée à Robert Ménard, maire de Béziers, homme fort de la région qui l'a conseillé tout au long de la campagne. Une fois le résultat connu, Aliot a dit : «Je n'ai jamais fait mystère de mon appartenance au RN et j'en suis fier, mais il y a des personnes qui sont tolérantes et qui se fichent pas mal de l'étiquette.» Pour le reste : un groupe de quinquas a résumé une partie de l'équation, dimanche, en passant devant la mairie : «Les Perpignanais ont été volés. Par le maire sortant. Et on ne pouvait pas se consoler avec un candidat RN. Alors on a voté blanc.» La situation était prévue pour profiter à Aliot selon l'analyse, la veille du scrutin, de Romain Lopez, candidat victorieux à Moissac (lire ci-contre) : «S'il passe, ça sera grâce aux blancs et aux nuls.» Dimanche, le maire sortant, Jean-Marc Pujol (LR), a parié, lui, sur une mobilisation forte de ses électeurs, à l'inverse de l'abstention de mars. Pour sauver ses fesses. Dans l'après-midi, voyant une participation en hausse, à 44 % à 17 heures, contre 35 dans l'ensemble de la France, il s'est dit «serein. Parce que j'ai fait le boulot». Après coup, la phrase ressemble à un testament politique.
Chapeau
Aliot, lui, l'a jouée plus fine : pendant la campagne, il a adopté un ton libéral, pour parler à l'électorat macroniste, et en même temps «il a tout fait pour démobiliser l'électorat de gauche. Ce qui a payé», analyse l'historien Nicolas Lebourg, spécialiste des droites radicales. Exemple la semaine dernière, quand Aliot a sorti de son chapeau une plainte contre Pujol pour une affaire de pression supposée sur des électeurs, par le directeur de l'office HLM du coin…
A Perpignan, le scrutin promettait un second tour serré. Mais Gabriel Robin, rédacteur en chef de l'Incorrect, magazine proche de Marion Maréchal prônant «l'union des droites», prédisait «une victoire» d'Aliot : «Parce que les gens de gauche vont s'abstenir. A leur place, je serais dégoûté. Comme un mec de droite ayant le choix entre LFI ou EE-LV.» Ce n'est pas forcément ce qui s'est passé : à l'école élémentaire Jordi-Barre de Perpignan, avant la fermeture des bureaux, on a croisé une femme de 33 ans accompagnée de sa fille. Elle vote normalement EE-LV, et s'est déplacée «au dernier moment, avec un sursaut républicain. Tout en étant déçue». Elle dit : «Pujol n'est jamais passé dans mon quartier, il n'a rien fait pour la gauche.» Son mari a voté blanc.
Soutien
Aliot s'est présenté à Perpignan sans étiquette, donc, mais sans non plus de référence à Marine Le Pen dans son local de campagne du centre-ville, un appartement bourgeois. En mars, il est arrivé en tête à plus de 35 %. En face, Pujol, 71 ans, n'avait fait que 18 %. Avec derrière une droite et un centre divisés, les autres candidats pas en position de l'emporter se sont désistés, pour faire barrage à l'extrême droite, l'écolo Agnès Langevine, le LREM Romain Grau… ça n'a pas plu à tous : «Quel que soit le résultat, il ne nous satisfait pas, même si démocratiquement nous l'acceptons», dit un habitant. Trois anciens de la liste de Grau ont retourné leur veste pendant la campagne, pour finalement soutenir Aliot, ce qui a suffi pour que Valeurs actuelles surnomme Aliot le «dynamiteur du front républicain». Pour contrebalancer, Pujol s'est lui payé le soutien de quelques têtes connues : Bayrou, Baroin, Pécresse, et même Philippe. Vainqueur, Aliot s'est amusé de la chose : «La bonne nouvelle c'est que ce front dit "républicain" est tombé, et s'il est tombé à Perpignan, demain, il pourrait tomber ailleurs. C'est un excellent message pour la suite.»