Un homme, la moustache bien taillée et la cravate dénouée, quitte la
salle de jeux du casino d'Enghien-les-Bains (Val-d'Oise). Direction le vestiaire. Soudain, il fait demi-tour et marche, comme envoûté, vers le guichet automatique de la Société générale, situé dans le hall d'accueil, à l'abri des regards. Il glisse sa carte bancaire dans l'automate. L'opération terminée, une belle poignée de billets dans la poche de sa veste, il retourne jouer, sifflotant. L'air faussement assuré.
«Ils ne savent pas s'arrêter. Ils veulent toujours se refaire», lance, sur un ton paternel, Roger Boutin, 94 ans. Du haut de son mètre soixante, cet affable monsieur à la chevelure argentée et soigneusement entretenue, est un pilier du casino. Les joueurs le surnomment le professeur. «J'aime bien donner la leçon», explique-t-il. Les employés, eux, l'appellent le doyen. Certains le tutoient: «J'ai toujours connu Roger. Il vient pratiquement tous les jours. Il figure sur notre fichier informatique depuis les années 90, mais il joue depuis bien plus longtemps», affirme Chantal, hôtesse d'accueil. L'informatique a des trous de mémoire. Roger Boutin balade sa petite silhouette depuis quarante ans dans l'unique établissement de jeux de l'Ile-de-France. Rien ne l'arrête. Ni son grand âge, ni ses trois heures de transport en commun aller-retour. Le «doyen», qui habite dans la banlieue Sud, à l'opposé d'Enghien-les-Bains, prend un bus, deux trains, et un taxi pour venir. Il part pour le casino en fin d'aprè