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Libération
Reportage

A la Réunion, les esprits convoqués sur le divan

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Sur l’île, où les religions et les cultures se côtoient et s’entremêlent, certains psys ont choisi de soigner les troubles mentaux à travers le prisme des rites traditionnels. Une approche ethnopsychiatrique à rebours des pratiques occidentales.
Séance d'ethnopsychiatrie au CHU de Saint-Pierre, à la Réunion, le 19 mars. (Romain Philippon/Libération)
par Laurent Decloitre et photos Romain Philippon
publié le 6 avril 2021 à 20h01

Le pauvre hère a perdu son travail, sombré dans l’alcool et survécu à une tentative de suicide. La nuit, Calixte (1) hurle qu’il a «le mauvais œil» sur lui. «Si je lui avais diagnostiqué une névrose ou dit que les esprits n’existaient pas, je n’aurais pas pu le soigner», estime Jacques Brandibas, un des pionniers de l’ethnopsychiatrie à la Réunion. Au contraire, le psychologue accompagne son patient chez une guérisseuse à l’orée de la forêt de la roche écrite, sur les hauteurs de Saint-Denis. Il laisse «Madame Marie» affirmer que l’épouse et la maîtresse de l’homme lui ont chacune lancé un sort, l’une pour l’avoir trompée, l’autre pour ne pas avoir quitté sa femme… Calixte a pu reprendre une vie normale après cette séance, assure le praticien aujourd’hui à la retraite, «alors que les soins à l’établissement public de santé mentale n’avaient rien donné».

C’est cela, l’ethnopsychiatrie : «La lecture culturelle d’une pathologie psychiatrique, selon Margareth Ah-Pet, responsable de la consultation transculturelle à l’hôpital psychiatrique de Saint-Paul. Si un patient affirme que des ancêtres ou des esprits lui parlent, on n’évoquera pas une hallucination. Aux yeux de notre patient, donc des nôtres, c’est une prévenance - un avertissement.» Marie-Annick Grima dispense également des consultations d’ethnopsychiatrie, au Centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) Henri-Wallon, à Saint-Denis. «Face à ce genre de troubles, la lecture occidental