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Libération
Reportage

Au pique-nique géant sur les Champs-Elysées : mince, finalement c’est bien !

«Libération» a partagé un panier garni avec 4 000 personnes sur l’avenue la plus célèbre du monde, tout en luttant contre une inexplicable montée d’enthousiasme.
Sur les Champs-Elysées, dimanche 26 mai. (JULIEN DE ROSA/AFP)
publié le 26 mai 2024 à 18h24

La dernière fois qu’on avait foulé les Champs, c’était pour une manif de gilets jaunes, et pas en tant que journaliste. A nos yeux de Parisienne, les Champs-Elysées ne sont pas si éloignés de la version de la mythologie grecque : un lieu des Enfers où des âmes perdues biberonnées aux marques de luxe viennent chercher du réconfort entre deux musées visités avec des perches à selfies. Alors quand notre cher journal nous a confié la mission de couvrir un pique-nique géant sponsorisé par les commerçants de l’avenue et un mastodonte de l’électroménager, notre joie n’était pas si difficile à cacher. Et puis on a pensé à Anne Hidalgo qui-en-a-ras-le-bol-des-Parisiens-qui-râlent-à-cause-des-Jeux. Est-on vraiment cette personne qui fait partie de la masse des cyniques ? Oui, à fond. Mais notre position n’était vraiment pas majoritaire en ce dimanche : près de 300 000 personnes s’étaient inscrites sur le site de la mairie de Paris dans l’espoir de faire partie des 4 000 personnes invitées à s’asseoir sur la nappe à carreaux de 4 212 mètres carrés posée à même les pavés de l’avenue. En raison de son étendue, un bruit court que l’événement pourrait être reconnu par le Guinness Book des records. Après «Un dimanche au cinéma» et la «Dictée géante», Marc-Antoine Jamet, du Comité des Champs (et accessoirement directeur immobilier et secrétaire général de LVMH, en plus d’être maire de Val-de-Reuil, dans l’Eure), dit avoir voulu «faire quelque chose de profondément populaire, parisien, qui rapproche : le pique-nique». On soupire un grand coup, et on y va.

Monde merveilleux du panier garni

Enfin, on voudrait y aller. Comme on n’est pas passés par la petite porte des accrédités, on fait la queue, comme tout le monde. Le début est chaotique, ce qui nous donne l’occasion de râler comme on en rêvait : le premier service était programmé à 11h45, sauf qu’à 12h30, on fait toujours la queue. On aperçoit au loin Guillaume Gomez, ancien chef des cuisines de l’Elysée et qui porte aujourd’hui l’honorifique titre d’ambassadeur représentant personnel du président de la République pour l’alimentation et la gastronomie, sourire à la presse. Anne Hidalgo, hyper ravie, est là aussi. «Tu pourras dire à tes copines que tu as pique-niqué sur les Champs, et pas dans les champs», dit Florent à sa fille, le père de famille est venu de Toulouse pour passer le week-end avec sa famille à Paris. Il avait candidaté au pique-nique sans trop y croire, et se sent bien chanceux d’être là. «Jeanne, Jeanne, tu es sûre que tu ne veux pas faire pipi ? On ne pourra pas faire pipi une fois à l’intérieur», répète une mère à sa petite de 6 ou 7 ans qui se tortille mais refuse obstinément de l’écouter. Allez, on se retrouve dans trente minutes pour la crise de larmes.

Au bout d’une heure, on finit par franchir l’entrée qui nous entraîne dans le monde merveilleux du panier garni. Après une fouille en règle, on nous remet un coussin pour nos petites fesses et un jeton au chiffre mystérieux, le 1, qui garantira notre expérience gastronomique à venir. Car le pique-nique s’organise comme suit : huit restaurateurs de l’avenue remplissent des paniers à leur façon, si bien qu’en fonction du chiffre pioché, vous pouvez avoir des sandwichs et des macarons Ladurée ou des spécialités de chez… McDo. Notre panier n’était franchement pas le pire, loin de là : on y a trouvé deux sandwichs au jambon, des tomates cerises, des chips, des perchettes (petits saucissons) et deux beaux macarons de la boulangerie-pâtisserie le Deauville. Pour dévorer tout ça, on tente de trouver un coin parmi les familles installées à même le sol. Certains angoissés ont apporté leur propre nappe et des trucs à manger en plus (des chips, des bretzels, du soda) alors qu’il y a, paraît-il, à manger pour un régiment (tous les surplus vont au réseau de lutte contre le gaspillage alimentaire le Chaînon manquant, bien joué). On finit par trouver une microplace en plein soleil, et on croque. Soudain, le sentiment d’une paix profonde monte en nous. «Mais c’est hyper bon en fait !» Du pain croustillant, du beurre froid, un vrai bon jambon blanc plié dix fois, légèrement effiloché… Au même moment, comme dans un mauvais film publicitaire, un rayon de soleil nous caresse la joue ; dans les enceintes, Nino Ferrer chante «On dirait le Suuuuuud».

«C’est sympa, finalement !»

Eh bien voilà, ça a marché. Force est de constater que l’on s’est laissée gagner, malgré nous, par l’enthousiasme. Seule parmi le peuple ravi, on ne peut plus contenir notre bonheur. Le pire, c’était le macaron au chocolat, juste parfait, avec sa petite pointe de sel. Que se passe-t-il ? Notre cynisme parisien s’évanouit ; la lueur de joie, qui avait commencé à nous gagner, est devenue un grand brasier. Apercevant notre extase discrète, une voisine se tourne vers nous : «C’est sympa, finalement !» Cette Parisienne (elle le confirmera) s’étonne elle-même de la réussite du moment. «Un jour ou l’autre il faudra qu’il y ait la guerre, on le sait bien», continue Nino Ferrer, dans les enceintes, heureusement là pour nous rappeler à la réalité. En attendant la fin du monde, on n’est pas si mal, finalement.