Loin de l’effervescence TikTok autour des Mogu Mogu, la première fois que j’entends parler de ce breuvage made in Thaïlande, sorte de liquide coloré à mâcher qui contient du jus de fruit et de la nata de coco, c’est en 2017. Nous sommes dans le Val-de-Marne. Adil (1) est posé sur une chaise devant un rade à la devanture noire, où les lascars de plus de 40 ans se font la bise et persistent à faire exister le Pento, un produit coiffant rétro et increvable. L’ancien se distingue avec une petite bouteille colorée transparente qui contient des cubes blancs qu’il mâchouille en fermant les yeux. «Eh ! C’est quoi ce jus façon Foire du Trône que tu gobes tous les jours ?» l’interpelle un gringalet au visage accablé par des tics nerveux. Le quadra habitué des allers-retours en Thaïlande nous explique que c’est son «petit bout d’Asie» à lui. Quelques sourires discrets illuminent le visage de son auditoire. Et pour cause, selon la gazette approximative des quartiers, il aurait une vie cachée là-bas avec femme et enfant. Adil nous apprend que depuis le début des années 2000, les Thaïlandais en raffolent.
Asian way of life
En France, la boisson est introduite en 2016 par le distributeur Starwell (basé en région parisienne). Pour se procurer le Mogu Mogu, il faut à l’époque se rendre soit dans une épicerie asiatique, soit dans les quelques snacks à trois viandes tenus par des nostalgiques des plages tropicales du Sud-Est asiatique. Depuis, la mixture s’est frayé un chemin dans la grande distribution : Franprix et Leader Price, Carrefour, Monoprix en vendent. Ils coûtent généralement moins de 2 euros, Amazon en propose par pack de 24. Et ce ne sont plus seulement des personnes originaires d’Asie ou des fanas de Thaïlande comme Adil qui se les arrachent, mais aussi des collégiens et lycéens.
Après la déferlante bubble tea, thé taïwanais aromatisé à base de perle de tapioca, le breuvage signé Sappe (le plus grand producteur de boisson en Thaïlande, avec 21 produits présents dans 94 pays) est en passe de devenir le tube de l’été 2022. Il bénéficie de l’engouement des plus jeunes pour une sorte d’asian way of life qui se traduit par une passion pour les produits alimentaires originaires du continent. Tout comme le bubble tea, le Mogu Mogu est une boisson qui se mâche, élément surprenant éloigné des habitudes françaises. Son principal attrait est un élément que l’on retrouve dans le thé taïwanais : la gelée de coco. La mixture, qui tire son nom d’une expression japonaise qui veut dire «mâcher», est composée d’eau, de jus de fruit et de noix coco fermentée. En bouche, il donne une sensation de fraîcheur fruitée malheureusement trompeuse. La décoction est en effet bourrée de sucre (fructose et saccharose) et d’additifs (dont neufs catégorisés à éviter) comme le conservateur E211 et le colorant E129. Yuka, l’application qui scanne la composition des produits alimentaires et cosmétiques, lui met un zéro pointé.
Jeunes générations
Qu’à cela ne tienne, le breuvage joue sur le marketing pour appâter le chaland. L’emballage flashy qui met en avant le contenu et ses cubes de coco apparents qui flottent. De quoi donner une impression de naturalité et de légèreté. Autre levier pour susciter du désir auprès des jeunes générations, ces vidéos de dégustation qui, par une notation subjective, tentent de définir quelle saveur est la meilleure : mangue, melon, raisin, fraise, ananas ou cassis. En pleine phase de conquête de marché, le produit pourrait inonder prochainement les supermarchés belges et portugais. Au grand dam des nutritionnistes, Mogu Mogu ne révolutionne pas l’univers des boissons à très faible valeur nutritionnelle.
(1) Le prénom a été modifié.