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Libération
Billet

Les Coréennes passent les injonctions aux rouleaux compresseurs

A Séoul, où les femmes sont traditionnellement priées de s’afficher soignées et apprêtées, sortir dans la rue avec des bigoudis devient une mode et un acte de résistance.
A Séoul, cette résistance par le bigoudi s’inscrit dans le sillage de #MeToo. (Emilija Manevska/Getty Images)
publié le 23 novembre 2021 à 9h28

On serait un 1er avril, on soupçonnerait le poisson attrape-couillon. Mais non, c’est le New York Times qui le raconte : en Corée du Sud, des jeunes femmes sortent bigoudis à l’air, en signe d’affirmation de soi. Et la journaliste du quotidien américain décrit un véritable phénomène. «Ces tubes de plastique, généralement recouverts de Velcro, sont visibles presque partout dans Séoul – dans des cafés, des restaurants, dans les transports en commun, la rue. Et s’ils peuvent sembler le vestige d’un passé révolu, les jeunes femmes qui les arborent disent qu’ils ne sont pas seulement pratiques mais un signe pour faire évoluer les mentalités sur les genres et la beauté, en même temps que le reflet du fossé entre les générations qui existe dans le pays.» Car s’afficher ainsi, avec une coiffure comme en chantier, contrevient complètement aux conventions de la société sud-coréenne qui exige traditionnellement des femmes d’être soignées de pied en cap. Ne pas apparaître en société dûment maquillée et coiffée revenant «à sortir nue de chez soi».

Cette résistance par le bigoudi s’inscrit dans le sillage de #MeToo, précise la journaliste, et elle a été précédée par d’autres formes de protestation, comme le mouvement «Echappe au corset» qui consistait à ne plus se maquiller et à arborer une coupe au bol, en réaction aux standards contraignants de la beauté qui prévalent dans ce pays qui est aussi un leader notoire du secteur des cosmétiques, au point de participer à la «Hallyu», le soft pop power coréen en cours depuis les années 90.



Dans cet acte de résistance, ce qui est intéressant est l’arme. Il est si inoffensif a priori, ce bigoudi basique de ménagère, ringard à souhait, mais soudain actualisé avec détournement à la clé. C’est acquis, l’apparence et ses diktats sont régulièrement des vecteurs de combats, confer (entre autres) le port du pantalon par la femme, la coupe garçonne, la minijupe, les seins nus, le jean, ou, plus récemment, le corps étendard des Femen ou le crop-top. Le bigoudi coréen nous rappelle plus précisément l’épingle à nourrice britannique ou le gilet jaune français : un objet commun, fonctionnel, soudain affûté par le message protestataire qu’une communauté décide de lui attribuer. La torsion, inattendue mais hautement symbolique, spectaculaire et pertinente par rapport au contexte dans lequel elle s’inscrit, s’impose illico dans les cortex. Et bingo, le bigoudi qui interpelle jusqu’au New York Times. L’empowerment tiré par les cheveux, ça décoiffe.