Eté 2018. Au Nouveau-Mexique (Etats-Unis), une quadragénaire est diagnostiquée positive au VIH. Pourtant, aucun facteur de risque n’est connu : un seul partenaire sexuel récent, testé négatif. Aucune injection de drogue, ni transfusion sanguine. En fouillant dans ses souvenirs, elle parvient à remonter jusqu’à son dernier contact avec des aiguilles, au printemps de la même année. Rêvant d’une peau lumineuse et rebondie, elle avait réalisé un «microneedling» avec PRP (plasma riche en plaquettes), aussi appelé «vampire lift». Ce soin du visage consiste à prélever le sang d’un patient, à séparer le plasma riche en plaquettes des globules rouges et à le réinjecter dans les tissus du visage à l’aide de micro-aiguilles dans le but de régénérer la peau, de réduire les cicatrices et de combattre les premiers signes de l’âge. Le VIP Spa à Albuquerque, où elle avait reçu cette prestation, est immédiatement mis en cause. Le ministère de la Santé du Nouveau-Mexique et les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, les CDC, se saisissent de son cas. Une enquête est ouverte et le centre esthétique ferme ses portes à l’automne de la même année. Après cinq ans de recherches sur les soins prodigués par cet établissement, les autorités sanitaires ont publié leurs résultats dans un rapport paru le 25 avril.
Myriade de pratiques dangereuses
Au total, cinq personnes infectées par le VIH sont identifiées. «Quatre anciens clients du spa et un partenaire sexuel d’une cliente du spa, qui ont tous reçu un diagnostic d’infection par le VIH entre 2018 et 2023», précise le rapport. Ce sont les premiers cas documentés de personnes ayant contracté le virus par le biais d’un acte esthétique utilisant des aiguilles. Sur le banc des accusés, le VIP Spa d’Albuquerque et son ancienne propriétaire, Maria de Lourdes Ramos De Ruiz, 62 ans. Après avoir plaidé coupable en 2022 aux cinq chefs d’accusation d’exercice de la médecine sans permis (à savoir pratique illégale de la médecine, extorsion, fraude, évasion fiscale et blanchiment d’argent), cette dernière purge une peine de trois ans et demi de prison.
A lire aussi
Dans le détail, les autorités sanitaires relèvent une myriade de pratiques dangereuses. L’établissement «non agréé n’a pas suivi les procédures recommandées de contrôle des infections ni tenu de dossiers clients», relève le rapport. Plusieurs instruments, dont une centrifugeuse, un bain à sec et des tubes non étiquetés contenant du sang se trouvaient «sur un comptoir de cuisine». Des produits injectables (du botox et de la lidocaïne) étaient «conservés dans le réfrigérateur de la cuisine avec de la nourriture». Des seringues non emballées ont été retrouvées dans des tiroirs ou sur des comptoirs et étaient «jetées dans des poubelles ordinaires». Du côté de l’hygiène, «aucun autoclave [stérilisateur à vapeur, ndlr] n’a été trouvé sur les lieux» : les équipements étaient nettoyés «à l’aide d’un spray désinfectant au chlorure d’ammonium et de lingettes désinfectantes au chlorure de benzalkonium après chaque visite client». Pire : les embouts des dessiccateurs électriques jetables étaient nettoyés à l’alcool et réutilisés.
Nombreuses campagnes de dépistage
Problème de taille pour les enquêteurs et pour l’identification de victimes potentielles, les dossiers des clients étaient incomplets. Alors pour retrouver ceux qui, actuellement ou par le passé, ont fait appel aux prestations du centre de médecine esthétique, les autorités sanitaires ont donc dû «multiplier les approches» : en plus d’appeler le peu de patients connus, ils ont alerté les médecins du Nouveau-Mexique qui suivaient des personnes récemment diagnostiquées positives au VIH pour les interroger sur leurs pratiques en matière de médecine esthétique. Grâce à de nombreuses campagnes de dépistage réalisées dans tout l’Etat, relayées par «les réseaux sociaux, la radio, les journaux et la télévision», les autorités sanitaires sont parvenues à dépister 198 anciens clients de l’établissement et leurs partenaires sexuels entre 2018 et 2023. Bonne nouvelle : «aucune autre infection par le VIH n’a été identifiée, ni aucune infection par l’hépatite B ou l’hépatite C. Les tests gratuits continuent pour les anciens clients du spa, et l’enquête est toujours en cours», est-il précisé dans le rapport.
Aux Etats-Unis comme en France, le microneedling avec PRP est un acte esthétique répandu. En 2013, Kim Kardashian a été l’une des premières à en vanter les mérites sur son compte Instagram, en postant un selfie de son visage ensanglanté. Depuis, le PRP a investi le marché de l’esthétique capillaire, notamment pour ses prétendus bienfaits contre la perte de cheveux. Et la pratique rencontre un franc succès. Comme pour le visage, le plasma est réinjecté dans le cuir chevelu pour stimuler la pousse. Injections de botox et d’acide hyaluronique, mésothérapie, microneedling… en France, le recours à la seringue a explosé ces dernières années, notamment chez les jeunes. Dans le même temps, les témoignages de personnes tombées dans les filets de charlatans non qualifiés pour prodiguer de tels actes se multiplient.