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Vélo

Brève tentative de nomenclature du cycliste parisien

Pressé, mélomane, touriste… Avec l’expansion du vélo dans la capitale, de la rue de Rivoli à la place de la République sont apparus plusieurs profils de conducteurs.
Sur la rue de Rivoli, on compte 30% de vélo en plus en 2023 par rapport à 2022. (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
publié le 22 octobre 2023 à 9h15

Il existe une population à Paris en pleine expansion : les cyclistes. Les deux-roues n’en finissent pas de se reproduire. Désormais, on ne dit plus «piste» mais «axe» voire «autoroute cyclable». La rue de Rivoli, qui ne disposait d’aucune voie pour vélo il y a encore quatre ans, voit débarquer 13 000 cyclistes tous les jours, en hausse de 30 % en 2023 par rapport à 2022. En heure de pointe, l’avenue Sébastopol, la plus empruntée, filerait de l’urticaire à un as du flegme. Cul contre cul et que le premier qui freine prie pour son devenir. Ici, c’est sans foi ni loi – demandez à cette brigade VTT de la police municipale qui, débarquant depuis la gare de l’Est, s’insère en prenant un sens interdit, puis le trottoir de l’avenue sur deux cents mètres. La piste parisienne est un inframonde avec ses codes, ses personnages, ses us et coutumes en réfection permanente. Libé dresse sa petite nomenclature de l’autochtone en deux-roues.

Le pressé

Une espèce majeure. Le pressé pédale de toutes ses forces, il est seul sur la piste, dès potron-minet comme à l’heure du goûter. Son identification est facile : il arrive ruisselant à destination, des marques de transpi lui lacèrent le dos et les aisselles. Si l’auto est son ennemi, c’est bien le bipède qui le fiche hors de lui. Le pressé lui hurle dessus. Il vilipende le lent (cf plus bas), à qui il jette ses yeux les plus noirs en même temps qu’il le dépasse. Le pressé pavoise à la machine à café («Je fais Répu-Montparnasse en 13′30”, garçon»). Il a le sang chaud et la gâchette facile. Quand il démarre, il appuie sur ses pédales, il les maltraite, il décanille comme il entre dans un saloon. Driiiiiiing, pousse-toi d’là, hombre. Quand il embranche sur une piste saturée et aperçoit une chenille de deux-roues sur son chemin, sa tension monte à 18. Le pressé n’hésite pas à tester la pression de son pneu avant sur de la chair humaine qui n’est pas la sienne. Quand son compteur affiche 16 km/h, il se remet en question, se parle mentalement, se sermonne, «Faut que je prenne un shot de jus de gingembre». Sur la route, dans le trafic, son corps lèche le capot des voitures. Le trottoir, le Range-Rover furibard, le marmot au passage piéton, rien ne lui résiste.

Le bourré

Cet individu vit la nuit. Le zigzag est son trick préféré. Parfois, le bourré a un bipède dans son panier, ou plus généralement sur son porte-bagage. La vitesse et la lumière de la ville lui dilatent son champ de vision, il sourit béatement, il se sent libre, il repense à la personne qu’il a embrassée dans ce bar miteux quelques minutes auparavant, il a pris son 06, ils ont convenu de se revoir dans la semaine, un petit verre, on sait jamais où ça peut mener, l’amour toque à la porte quand on ne s’y attend pas comme on… Bam ! Un mur de béton. Deux chicots en moins (celles de devant).

Le lent

Information majeure : le lent honnit le pressé. Non mais quel danger public ! Il était à deux doigts de renverser la mamie, là ! Comme cet oncle qui, en plein milieu d’une soirée de mariage fait tomber la chemise et se met à chanter «à, à la queue leu leu», le lent aime les chenilles. Et impossible de la dépasser avec les cyclistes qui déboulent en face, et ce rétroviseur qu’il a installé sur sa machine. Le lent est superéquipé. Il porte un casque bien entendu, et il s’est offert des clignotants à poser sur son gilet jaune après une tendinite au bras gauche à force de montrer son chemin. Il repère les ornières comme pas deux. Il n’a pas le permis voiture mais il connaît le code de la route sur le bout des doigts. Même avec son rétro, le lent contrôle son angle mort – on n’est jamais trop prudent. Il a le cœur léger. Il sourit au bipède, freine pour laisser le temps au pigeon de s’envoler, valorise les discussions aux feux. Son dos est droit comme un i.

Le touriste

L’extrémité inférieure de la chaîne (alimentaire) des deux-roues. Un esprit pur. Il n’a pas encore goûté à la rue de Rivoli à 9 heures du mat’. Sur la route, le touriste s’arrête fréquemment pour se prendre en selfie, sur le pont d’Iéna comme sur la place de la Concorde. Souvent, il traîne près d’une station Vélib. Il n’a pas compris qu’il y a celles disposant d’une borne, pour les non-abonnés comme lui, et d’autres sans. Il est bloqué, hagard. Par chance, il tombe sur une bonne âme qui lui explique la marche à suivre. Après une errance dans le quartier, à la recherche d’une monture, il trouve son bonheur. C’est un électrique en plus. Il démarre. Il fait le beau. La roue arrière est crevée.

Le mélomane

Un amoureux du bon son en toutes circonstances. Sans écouteurs, comme il souffre ! Il adapte sa vitesse aux BPM de la musique. Il crie au flic venu le contraventionner pour avoir grillé un feu que c’est pas sa faute, il avait pas vu, il dansait le Mia. Parfois, il embarque une enceinte et alors, il se prend pour Richard Virenque (l’expérience nous indique que ce sous-genre du mélomane aime particulièrement la trance psychédélique).

Le squatteur

Le boss. Il zone le plus fréquemment dans une station Vélib disposant de très peu de montures. Les cavalcades, très peu pour lui. Les bancs publics, pareil. Rien ne sied mieux à son postérieur qu’une selle moelleuse, mais à l’arrêt. Même le pressé n’ose pas interrompre son roupillon. Bien sûr, il choisit constamment de s’installer sur un Vélib noté trois étoiles sur l’appli il y a moins d’une heure. Raaaaah !